« “Laisse la mouche tranquille”, nous dit Fiacre Gbédji. Le parc de la Pendjari était sa vie »
« “Laisse la mouche tranquille”, nous dit Fiacre Gbédji. Le parc de la Pendjari était sa vie »
Par Rafal Lapkowski
En poste au Bénin pour l’Union européenne, Rafal Lapkowski a croisé la route du guide béninois tué par les ravisseurs des otages libérés le 10 mai. Portrait.
Nous sommes venus nous installer au Bénin en 2014. Un pays d’Afrique de l’Ouest, un continent que nous ne connaissions pas. Petit à petit nous avons découvert ce pays d’une grande richesse culturelle, peuplé de personnes magnifiques et polyglottes. A part le français, chaque Béninois parle au moins deux, trois, souvent même quatre langues communautaires. Le Bénin est aussi une terre de vaudou avec ses forêts sacrées, ses traditions et coutumes.
Nous savions qu’il fallait visiter le parc de la Pendjari, mais avions décidé de le garder pour notre dernière année de séjour, en 2018, afin que nos enfants s’en souviennent bien. Car quand nous voyageons, nous aimons prendre le temps de voir, sentir, connaître. Pour essayer de mieux comprendre.
A Natitingou, la ville du nord, dernière étape avant le parc, nous avons rencontré notre futur guide : Fiacre Gbédji. A l’entrée du parc, Fiacre a pris le volant. Le parc était sa deuxième maison. Il en connaissait chaque virage, chaque arbre. On était chez lui. Il nous faisait découvrir sa terre.
Respect
En même temps, il faisait respecter les règles du lieu. Le premier jour, une mouche est entrée dans la voiture. Habitué à la chasse aux insectes, je voulais l’écraser entre mes deux mains. Le visage de Fiacre s’est alors fermé : « La mouche fait partie de l’écosystème du parc. Il faut la laisser sortir. » Nous n’avons pas discuté. Par la suite, nous avons libéré chaque mouche, chaque moustique, afin qu’il garde sa place dans la chaîne alimentaire.
Nous avons passé quatre nuits au lodge du parc. Un endroit magnifique d’où l’on voit la savane à perte de vue. Un endroit où on peut observer des animaux venir boire de l’eau. Un endroit où, pendant la nuit, on entend les lions, les hyènes. Le silence aussi.
Chaque jour à 7 heures du matin, nous avions rendez-vous avec Fiacre. Pour voir les animaux mieux vaut se lever tôt. C’est le matin qu’ils vont boire aux mares car, pendant la journée, ils recherchent l’ombre pour se reposer.
Fiacre avait une connaissance sans limite des habitudes des animaux, de leurs itinéraires, de leur nourriture, de leurs cris, des traces de leur passage. Avec lui, nos enfants ont appris à reconnaître leurs crottes.
Pendjari est aussi un sanctuaire d’oiseaux, un endroit où l’on voit des termitières si énormes qu’on les appelle les cathédrales.
Fiacre savait tout ça. Le parc était sa vie.
Bénin, dans le parc de la Pendjari en 2018. / DR
Le jour de l’anniversaire de notre fils, il lui a promis d’appeler les lions avec son téléphone portable pour qu’ils viennent à notre rencontre. Et effectivement, ce jour-là nous en avons croisé deux familles que nous avons pu observer dans un silence absolu. Car il traitait les animaux avec respect, considérant qu’ils étaient chez eux.
Outre les nombreuses espèces animales : buffles, antilopes, phacochères, éléphants, lions, léopards, hippopotames, crocodiles, le parc est riche d’une végétation splendide et de paysages impressionnants, où les baobabs poussent avec une majesté royale.
Au nord, la rivière Pendjari sépare le Bénin du Burkina Faso. Fiacre nous a amenés jusqu’à l’endroit où ce cours d’eau était à sec. Un endroit d’où l’on pouvait observer les antilopes traverser la frontière et apercevoir aussi le Burkina à quelques mètres. Est-ce là que son parcours s’est arrêté ?
C’est probablement le seul endroit du parc où le passage entre les deux pays est facile. Fiacre était fier que, côté béninois, le parc soit bien aménagé, que les animaux y soient nombreux. Il était fier de faire découvrir la beauté de son pays, content que les gardes du parc luttent contre les braconniers pour que les éléphants puissent tranquillement élever leurs petits.
Une joie de vivre sans limites
Educateur dans un orphelinat, Fiacre avait un contact incroyable avec les enfants.
Il nous parlait des siens, mais surtout de ceux avec qui il travaillait, se préoccupant de leur bien-être, de leur éducation, de leur avenir.
Même si notre séjour a été long car nous voulions nous imprégner de la Pendjari, il a su, chaque jour, nous faire découvrir une facette différente de cet espace.
Des « tata somba », maisons rondes traditionnelles d’un village dans le nord du Bénin, en 2018. / DR
A la sortie du parc, nous avons encore passé une journée avec lui dans les villages qui abritent des maisons traditionnelles, les tata somba. Fiacre connaissait le mode de vie des populations, leur histoire et, surtout, il connaissait les gens, avait des amis partout où nous sommes passés avec lui.
Il avait une joie de vivre sans limites.
Le jour où j’ai appris que deux touristes et leur guide avaient été enlevés dans la Pendjari, j’ai essayé de le contacter pour m’assurer qu’il allait bien. WhatsApp a affiché que Fiacre s’était connecté pour la dernière fois à 8 h 25, le 1er mai, jour de l’enlèvement. Et peu après, j’ai appris qu’il en était la première victime.
Toute la nuit suivante j’ai regardé les photos que nous avions prises ensemble. Les éléphants qui courraient derrière la voiture, les groupes d’antilopes à chaque coin du parc et Fiacre, toujours souriant, toujours à l’écoute, toujours à nos côtés. Une personne magnifique. Une personne respectueuse, quelqu’un d’aimé et qui aimait.
Au Bénin, l’hommage à Fiacre Gbédji, le guide tué par des djihadistes
Durée : 01:17
Avec sa disparition, une partie de nos souvenirs du Bénin se sont évaporés. Dans une tristesse partagée par tous ceux qui l’ont connu. La tristesse de toute une région si belle, si vierge, qui est aussi une carte de visite du pays.
Nous penserons toujours à toi, Fiacre.
Rafal Lapkowski travaille pour l’Union européenne. Il a été en poste au Bénin durant plusieurs années.