Castaner et la Pitié-Salpêtrière : premier désaveu pour la loi sur les infox
Castaner et la Pitié-Salpêtrière : premier désaveu pour la loi sur les infox
LE MONDE ECONOMIE
Le tribunal de grande instance a débouté une plainte concernant les propos de Christophe Castaner sur les événements de la Pitié-Salpêtrière, le 1er-Mai. Le jugement montre surtout les difficultés à appliquer un tel texte.
Baptême du feu pour la loi sur les infox, censée lutter contre la diffusion de fausses nouvelles et promulguée le 23 décembre 2018. Désireux de prendre le gouvernement à son propre jeu, deux parlementaires du Parti communiste, le sénateur Pierre Ouzoulias et la députée européenne Marie-Pierre Vieu, ont voulu démontrer que « la loi sur les fausses nouvelles qui devait tout régler ne règle rien ».
Ils ont ainsi attaqué devant le tribunal de grande instance de Paris les déclarations faites sur Twitter le 1er-Mai par Christophe Castaner après l’entrée de manifestants dans un hôpital parisien.
« Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République », avait tweeté le ministre de l’intérieur. Ces déclarations avaient ensuite été démenties par les faits : l’événement reconstitué par différents journaux, dont Le Monde, avait finalement peu à voir avec la version du ministre. Ce dernier en avait d’ailleurs convenu, reconnaissant que le terme « d’attaque » n’était pas approprié.
Non, la Pitié-Salpêtrière n’a pas été “attaquée” le 1er-Mai
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« Démontrer par l’absurde »
S’emparant de cette infox, les deux parlementaires ont assigné en référé Twitter devant le tribunal de grande instance de Paris, enjoignant le réseau social à supprimer le tweet de Christophe Castaner, et ce, afin de « faire cesser la diffusion d’allégations ou d’imputations présentées comme inexactes et trompeuses ».
Dans un jugement rendu le 17 mai dernier, le tribunal a débouté les plaignants, ce qui était précisément le but recherché. « Nous voulions démontrer par l’absurde – ce qui est parfois comme en mathématiques la méthode la plus efficace – que cette loi ne servait à rien », explique Pierre Ouzoulias, qui rappelle que le Sénat avait « refusé deux fois – à l’exception des sénateurs LREM – de discuter du texte [par une procédure de renvoi en commission]. Au mieux, il était inutile, au pire liberticide ».
Pourquoi s’en être pris à Christophe Castaner ? « Au Sénat, on nous a présenté cette loi contre une façon de mettre fin aux ingérences de la Russie. On voit bien que l’ingérence peut venir d’ailleurs. » En s’emparant de cette affaire, les juges rappellent les conditions drastiques d’application de cette loi, qui ne peut s’exercer que pendant les périodes électorales.
Sur la fausseté de l’information, le tribunal a tout d’abord jugé que, si « le message de Christophe Castaner apparaît exagéré (…), cette exagération porte sur des faits qui, eux, sont réels. (…) La condition selon laquelle l’allégation doit être manifestement inexacte ou trompeuse n’est pas remplie ».
Condition absurde
Ensuite, il aurait fallu que la diffusion du « tweet litigieux » soit « cumulativement massive, artificielle ou automatisée ». Autrement dit, Christophe Castaner aurait par exemple dû acheter de la publicité à Twitter pour accroître la caisse de résonance de son message. Or, les juges n’ont trouvé aucun « élément démontrant l’utilisation de tels procédés ».
Enfin, le juge des référés devait « apprécier le caractère manifeste du risque d’altération de la sincérité du scrutin, lié à la diffusion de ce tweet », et ce, à quelques semaines seulement des élections européennes, qui se tiendront le 26 mai. Au final, grâce aux différentes versions de l’événement relatées dans les journaux, « chaque électeur [a pu] se faire une opinion éclairée, sans risque de manipulation ». Cette dernière condition du texte est par essence absurde, selon Pierre Ouzoulias : « Jamais personne ne pourra prouver qu’une fausse nouvelle puisse avoir de l’influence sur un scrutin qui ne s’est pas encore déroulé. »
Dernière difficulté, le tribunal a jugé que Twitter France n’était pas l’entité à saisir. Les plaignants auraient dû se tourner vers Twitter Irlande. Or, dans la mesure où c’est une société étrangère, cela freine la « procédure d’urgence ». « Le texte montre surtout qu’il faut une véritable régulation des contenus sur les réseaux sociaux », conclut M. Ouzoulias.
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