Le Sénat supprime un article sensible du projet de loi pour Notre-Dame
Le Sénat supprime un article sensible du projet de loi pour Notre-Dame
Par Jean-Jacques Larrochelle
L’article 9 devait permettre de déroger aux règles en matière d’urbanisme, d’environnement, de patrimoine, ou de commande publique.
A l’Assemblée nationale, lors de la présentation du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, voté en première lecture, le feu couvait déjà dans les rangs de l’opposition. Ce dont rêvaient certain(e)s député(e)s, le Sénat l’a fait. « Convaincue qu’autoriser des dérogations aux règles en vigueur pour faciliter la restauration de Notre-Dame est inutile et se révélerait dangereux à la fois pour l’exemplarité de ce chantier et la crédibilité de notre législation, la commission de la culture a supprimé l’article 9 du projet de loi », a expliqué, mercredi 22 mai dans un communiqué, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de la Chambre haute. La suppression de l’article a été votée à l’unanimité moins les voix de la République en marche, le parti présidentiel.
Le rapporteur du texte au Sénat, Alain Schmitz (Yvelines, LR), qui avait été particulièrement actif lors de l’audition par la commission, le jeudi 16 mai, du ministère de la culture et de la communication, Franck Riester, s’interroge :
« Comment les autres propriétaires de monuments historiques pourraient-ils encore accepter de se soumettre aux dispositions de nos codes si l’Etat lui-même est autorisé à s’en affranchir pour lancer l’un des chantiers patrimoniaux les plus emblématiques ? Ce serait ouvrir une véritable boîte de Pandore ».
Que dit l’article 9 du projet de loi ? « Le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toutes dispositions (…) de nature à faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais et dans des conditions de sécurité satisfaisantes, des travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. » Ces ordonnances « peuvent prévoir des adaptations ou dérogations aux règles en matière d’urbanisme, d’environnement, de construction et de préservation du patrimoine (…), aux règles en matière de commande publique (…) ».
Le ministère mis hors jeu
Le caractère impératif de la procédure est notamment lié à l’injonction du président de la République, Emmanuel Macron, qui, dès le lendemain de l’incendie ayant gravement endommagé Notre-Dame le 15 avril, avait publiquement déclaré « [vouloir] que la reconstruction soit achevée d’ici cinq années. » Une décision hâtive, compte tenu de la méconnaissance, alors, de l’ampleur des dégâts et, donc, de la tâche à accomplir, et de sa durée.
Tout en souhaitant « ne pas voir le ministère de la culture mis hors-jeu », la commission sénatoriale a rappelé, lors de ses échanges avec Franck Riester, comme l’avaient rappelé précédemment les député(e)s, que certaines dispositions actuelles du code du patrimoine permettent de s’adapter à des situations de nature exceptionnelle. « Face à des besoins en urgence impérieuse, nous n’avons pas le temps de faire des appels d’offres », indique Charlotte Hubert, présidente de la compagnie des architectes en chef des Monuments historiques, présente sur le site de Notre-Dame de Paris.
Comme la loi l’y autorise, la Direction des affaires culturelles (DRAC) Ile-de-France, par l’intermédiaire de la préfecture, a d’ores et déjà réquisitionné des entreprises possédant les compétences nécessaires. Ce fut ainsi le cas pour les maîtres verriers ou les serruriers chargés de la dépose des vitraux hauts de la nef et du chœur. En pareille circonstance, un économiste, au sein de l’équipe de maîtrise d’œuvre, vérifie les tarifs proposés par les prestataires avant de passer commande. La prestation réalisée est aussitôt réglée.
Un accord « compliqué »
Dans ses attendus, la commission de la culture a également jugé nécessaire d’inscrire dans la loi une référence aux engagements de la France vis-à-vis de ses obligations internationales en matière de patrimoine. « L’architecture de la cathédrale a été déterminante pour le classement du bien “Paris, Rives de la Seine” au patrimoine mondial de l’Unesco en 1991, a rappelé sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly (Seine-Maritime, UC). Les travaux de restauration de Notre-Dame devront préserver l’authenticité et l’intégrité du bien si nous ne voulons pas prendre le risque de porter atteinte à la valeur universelle exceptionnelle de celui-ci et de perdre le bénéfice de ce classement (…)».
La commission a également souhaité lever l’ambiguïté quant à la nature du dispositif spécifique chargé de gérer et de contrôler l’ensemble du projet de restauration. Si, lors de son audition, Franck Riester a évoqué parmi les pistes celle d’une « maîtrise d’ouvrage gérée directement par l’administration centrale », les sénateurs, « dans un souci d’améliorer l’intelligibilité du projet de loi » souhaitent confier cette responsabilité à un nouvel établissement public dont le fonctionnement serait « encadré strictement » : soit « un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture » dont la maîtrise d’œuvre – ce qui est déjà le cas sur le site de la cathédrale – serait assurée sous l’autorité de l’architecte en chef des Monuments historiques.
Au plan politique, enfin, la volonté des sénateurs de supprimer l’article 9, risque, selon Alain Schmitz, de rendre « compliqué » un accord en commission mixte paritaire (CMP). En cas de désaccord persistant lors d’un processus législatif, cette dernière réunit sept élus de chacune des deux chambres, plus éventuellement leurs présidents respectifs, qui valideront – ou pas – l’adoption du projet de loi. Le texte du projet de loi, remanié par la commission de la culture, sera examiné en séance publique par le Sénat en première lecture, lundi 27 mai.
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