Festival de Cannes 2019 : « Avec “Kongo”, on a cherché à bousculer le rationalisme de nos sociétés »
Festival de Cannes 2019 : « Avec “Kongo”, on a cherché à bousculer le rationalisme de nos sociétés »
Propos recueillis par Alexis Duval
Les Français Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav ont réalisé un étonnant documentaire présenté à l’ACID lors de la 72e édition du festival.
Corto Vaclav et Hadrien La Vapeur, les deux réalisateurs de « Kongo », présenté dans la section ACID au 72e festival de Cannes. / YVES MARCHAND
L’apôtre Médard est une personnalité aussi fascinante que déroutante. Ce guérisseur traditionnel s’est trouvé accusé de magie noire par un tribunal de Brazzaville. Les deux documentaristes français Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav lui ont consacré un film (sortie prévue courant 2020) dans lequel on le suit lors de séances qui s’apparentent à des exorcismes. Kongo, qui questionne la place du mysticisme dans la société congolaise, a été présenté, jeudi 23 mai au soir, en clôture de l’ACID, sélection parallèle de l’Association pour le cinéma indépendant et son développement, au 72e Festival de Cannes. Rencontre avec les deux réalisateurs.
Comment l’idée de filmer ce personnage de guérisseur est-elle née ?
Corto Vaclav Quand on s’est rencontrés à Paris avec Hadrien La Vapeur, on a immédiatement perçu qu’on avait un désir commun d’initiation cinématographique et magique. Pour moi, il s’agissait de donner du pouvoir à la caméra. J’avais déjà un attrait pour les recherches en anthropologie autour des forces supérieures et de la relation que les hommes entretiennent avec elles. La magie est toujours vue dans sa fonction sociale, mais notre film n’est pas une recherche anthropologique, c’est davantage une quête initiatique.
Hadrien La Vapeur On a commencé les premiers repérages en 2013. On ne pensait pas du tout que faire ce film allait mettre autant de temps [il a été terminé début février]. On voulait faire un documentaire sur la tradition spirite. On a très vite su que l’apôtre Médard était le bon porte-parole de ce monde invisible qu’on a cherché à faire sentir.
Justement, que représente l’apôtre Médard dans la société congolaise ?
C. V. Médard est au cœur des problèmes quotidiens. Son profil de guérisseur animiste fait qu’il est craint parce qu’il dit parler avec les forces occultes, mais il est aussi un conciliateur. On ne va pas voir l’apôtre Médard par hasard. Il a un pied dans chaque monde, ce qui repousse les gens, notamment les chrétiens. Il est garant d’une certaine tradition magique ancestrale du royaume du Congo. Cette tradition a résisté à tous les assauts du colonialisme et des missionnaires, mais a dû se fondre et se synchrétiser pour se perpétuer.
H. L. V. Il est guérisseur, mais il est aussi un peu médecin, pharmacien, assistant social, psychologue, chef de quartier, guide spirituel, réconciliateur de problèmes non mystiques… Et il est aussi un citoyen comme les autres ! Avec le film, il devient ambassadeur de sa tradition à l’international. Ça a finalement été le premier à croire au projet.
Votre documentaire joue sur la frontière entre réalité et fiction…
C. V. Au début, on s’est dit qu’on allait faire un documentaire sur comment se passe la guérison mystique au sein de l’église de l’apôtre Médard, ce qui constitue la première partie du film. Finalement, l’histoire se rapproche d’un scénario de fiction. On cherche à ce que le film bouscule le rationalisme de notre société.
H. L. V. On ne voulait pas que le spectateur sente la misère. On voulait avant tout montrer la dignité des habitants sans sombrer dans le pathos. C’est finalement notre histoire commune à toute l’humanité : ces traditions, ce rapport aux esprits existe dans toutes les sociétés. Au Guatemala, en Russie, en Papouasie… C’est la même histoire : il y a toujours un médium, un chaman, un guérisseur, qui fait le lien avec le monde des esprits. Avec lui, on a beaucoup appris sur le plan spirituel comme sur le plan humain.
L’eau, le feu, le vent, la terre : dans votre documentaire, la nature est omniprésente. Qu’avez-vous voulu signifier ?
H. L. V. Nous avons cherché à suggérer l’invisible par le langage de l’image. Brazzaville a un climat équatorial, des pluies torrentielles peuvent donc se déclencher une demi-heure après un ciel bleu. On a développé cette métaphore de la présence des esprits à travers des lumières, le vent qui souffle dans les arbres.
EXTRAIT 1 - KONGO de Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav (ACID CANNES 2019)
Durée : 01:02