Correspondant du Monde à Washington, Gilles Paris a répondu aux questions des internautes sur les conséquences politiques du rapport Mueller, dont le ministère américain de la justice a publié les conclusions.

Raphaël : Si j’ai bien compris, Donald Trump n’a pas eu de lien personnel avec la Russie durant sa campagne présidentielle. Son équipe, en revanche, a eu plusieurs contacts visiblement interdits puisque plusieurs d’entre eux sont inculpés, voire en détention. Cela ne peut-il toutefois pas nuire à l’image du président par ricochet ?

Effectivement, le rapport Mueller conclut que la Russie a bien essayé de peser sur l’élection américaine en favorisant Donald Trump et qu’elle a multiplié les contacts, par le biais d’intermédiaires ou de personnes officielles, avec l’équipe de campagne du candidat républicain. Mais il n’y a pas de preuves permettant de conclure à une conspiration.

Parmi les personnes inculpées dans cette équipe, certaines ont été condamnées pour des délits sans liens avec la campagne, découverts par sérendipité si l’on veut. Mais toutes ont menti aux enquêteurs sur leurs relations avec leurs interlocuteurs russes. Ces inculpations montrent au minimum que Donald Trump s’était très mal entouré, mais leur impact est mineur sur l’opinion américaine, y compris pour les électeurs de Donald Trump qui n’attendent pas de lui des leçons de vertu.

Larry : Les chances d’une réélection de M. Trump viennent-elles d’augmenter subitement avec le rapport Mueller ?

Gilles Paris : L’enquête « russe » a enfiévré Washington, mais il faut se garder de l’effet « bulle » qui règne toujours dans la capitale fédérale. Un sondage de Fox News publié au début du mois a montré que moins de 10 % des personnes interrogées considéraient que les conclusions du rapport pourraient « fortement » modifier leur regard sur Donald Trump. L’absence de preuves permettant d’établir une collusion est une excellente nouvelle pour le président qui voit sa version de l’affaire en partie validée sur le point le plus essentiel.

Mais ce qui frappe toujours lorsqu’on regarde la popularité de son action, c’est la permanence des sentiments à son égard. Ils varient très peu depuis son arrivée à la Maison Blanche. Le rapport Mueller va renforcer dans l’immédiat l’emprise de Donald Trump sur le camp républicain. Peut-être modifier le regard de certains indépendants, mais je doute qu’il produise des effets au-delà. Le président est incontestablement en meilleure posture aujourd’hui, mais nous ne sommes qu’en mars 2019, donc très loin de l’élection.

Risitasse : Donald Trump est-il vraiment tire d’affaire sur un plan judiciaire ?

Oui pour ce qui concerne l’enquête “russe”, à moins d’une très improbable révélation à propos de l’hypothèse d’une obstruction à la justice que l’attorney general aurait masquée dans sa note de synthèse. D’autres affaires sont toujours en cours, certaines très embarrassantes comme l’achat du silence de deux femmes qui assurent avoir entretenu une relation extraconjugale avec Donald Trump par le passé. Ces transactions, effectuées juste avant l’élection, constituent potentiellement des infractions aux règles sur le financement de campagne. Mais le président ne peut être poursuivi pendant son mandat pour ce type de délits. Ils peuvent abîmer son image mais sans doute qu’à la marge, pour les raisons évoquées plus haut.

Alicemarionluce : Comment peut-on croire le résumé du ministre de la justice alors que celui-ci travaille pour Trump ?

Robert Mueller a été nommé par ce département, et il a travaillé en toute liberté sous l’autorité de son numéro deux, Rod Rosenstein. Il est très probable qu’une partie du rapport sera rendue publique et Robert Mueller sera certainement auditionné par le Congrès. Il faut donc s’attendre à ce que la note de synthèse reflète le rapport lui-même.

Alexandre. : Les démocrates ont demandé la publication complète du rapport, quelles possibilités et quelles conséquences politiques si les républicains refusent ?

Le refus de publier le rapport, ou du moins de très larges extraits s’il comporte des informations classifiées, serait préjudiciable au président. On voit pas quel intérêt il aurait à maintenir sous le boisseau un document qui lui est très favorable. Les démocrates s’engageraient certainement dans une longue procédure judiciaire pour obtenir satisfaction, sans garanties de résultats. Cette guérilla ne profiterait sans doute à personne.

Celestinho : Quelles seront les conséquences du rapport Mueller pour la campagne démocrate ?

La campagne d’investiture démocrate, qui n’en est qu’à ses débuts, s’est centrée jusqu’à présent sur les questions de santé, sur la fiscalité et sur l’environnement. Il est très probable que les candidats démocrates vont y revenir très vite une fois réglée la question de la publication du rapport, dont on ne connaît pour l’instant que les conclusions tirées par l’attorney general, le ministre de la justice.

Il est sûr que certains démocrates espéraient que le document contienne des révélations fracassantes susceptibles d’ouvrir une procédure de destitution (impeachment), même si la speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a toujours exprimé de sérieux doutes à ce sujet. Cette perspective n’est plus à l’ordre du jour, et sans doute définitivement.