Trois années d’échecs en cinq dates : le bilan de Theresa May
Trois années d’échecs en cinq dates : le bilan de Theresa May
De sa nomination au poste de première ministre britannique, en 2016, à l’annonce de sa démission, retour sur les moments-clés de son mandat.
La première ministre britannique Theresa May après avoir annoncé qu’elle démissionnerait le 7 juin, ici le 24 mai 2019 à Londres. / TOBY MELVILLE / REUTERS
Theresa May a annoncé, vendredi 24 mai, qu’elle démissionnerait le 7 juin. Une annonce qui marque la fin d’une épopée politique hors norme. Tour à tour, au cours de ces dernières années, les commentateurs auront loué la « remarquable détermination » de la première ministre britannique à se maintenir au pouvoir, coûte que coûte, pour s’acquitter d’une « mission impossible », ou déploré son « obstination stérile », échec après échec.
Le 23 mai, les tabloïds britanniques affichaient en « une » une photographie de Theresa May assise à l’arrière de sa voiture, les « yeux larmoyants ». Près de trois ans après le vote sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, et alors que le feuilleton sans fin du Brexit dégrade inexorablement l’image que les Britanniques se font de la vie politique de leur pays, Mme May, « la survivante », a fini par lâcher prise.
De sa nomination à sa démission, retour sur cinq dates-clés d’un mandat qui restera associé à une période de turbulence inédite pour le Royaume-Uni depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
13 juillet 2016 : une première ministre favorable au maintien dans l’UE pour négocier le Brexit
Au lendemain du référendum du 23 juin sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE – 51,9 % des Britanniques ont choisi de quitter l’Union –, son artisan, David Cameron, défenseur sans ardeur du « Remain », a compris qu’il devait quitter le pouvoir. Les responsables politiques qui s’étaient présentés comme les champions du Brexit – Boris Johnson, Michael Gove, Nigel Farage… – se sont retirés de la course après la victoire et c’est donc Theresa May, ancienne ministre de l’intérieur, qui succède à M. Cameron le 13 juillet. Alors qu’elle était favorable au maintien de son pays dans l’Union lors de la campagne du référendum, elle reçoit le mandat d’en négocier le départ à la tête d’un gouvernement où les brexiters dominent.
Pour tenter de faire oublier son penchant pro-UE, Theresa May force le ton. « Brexit veut dire Brexit, martèle-t-elle dès le 11 juillet. En tant que première ministre, je veillerai à ce que nous quittions l’UE. Nous allons faire [de cette sortie] un succès. Il n’y aura aucune tentative de rester dans l’UE, aucune tentative d’y rentrer en douce, et pas de second référendum. »
8 juin 2017 : May se prive de sa majorité
Personne ne s’y attendait, et la décision s’est révélée catastrophique. Un an après le référendum, Theresa May est paralysée par les divisions du camp conservateur. Au sein même de son gouvernement, les tenants d’un « Brexit dur », soit une rupture nette avec Bruxelles en dépit de conséquences économiques potentiellement désastreuses, s’opposent aux partisans d’un maintien dans le marché unique.
Mme May pense pouvoir sortir de l’ornière en déclenchant des élections anticipées. C’est un échec cuisant. A l’issue du scrutin du 8 juin, elle perd sa majorité conservatrice. Pour se maintenir au 10, Downing Street, la première ministre dépendra désormais d’une petite formation protestante extrémiste d’Irlande du Nord, le Parti démocratique unioniste. Cette situation nouvelle a de quoi rendre plus complexe encore la question de la frontière irlandaise, le volet le plus périlleux du Brexit, pourtant largement négligé lors de la campagne du référendum.
Les négociations avec les Européens commencent le 19 juin, et c’est considérablement affaiblie que la première ministre les entame. Déjà, depuis le déclenchement de la procédure de sortie, en mars, son discours a changé. Moins radicale mais plus confuse, elle parle de « Brexit fluide et méthodique », d’un « nouveau partenariat positif et constructif » et d’un « accord de libre-échange ambitieux et global ».
14 novembre 2018 : l’accord de May ne convainc pas son camp
585 pages, 185 articles, trois protocoles et plusieurs annexes. Après vingt mois de négociations tortueuses, Theresa May s’est entendue avec l’Union européenne, le 13 novembre, sur un accord de divorce. Le lendemain, elle annonce elle-même, devant la porte noire du 10, Downing Street, qu’elle vient d’obtenir le soutien de ses principaux ministres au sujet de cet accord technique. Un premier succès, mais il reste encore à Theresa May à obtenir une majorité aux Communes.
Et dès le 14 novembre, les réactions au contenu de l’accord ne font que confirmer l’impasse dans laquelle se trouve Mme May. Un point, notamment, cristallise les oppositions : les dispositions concernant l’Irlande, et en particulier le filet de sécurité ou « backstop ». Si elles permettent de garantir la fluidité des échanges de part et d’autre de la frontière insulaire, et donc la paix, pour les plus radicaux des europhobes, elles font planer le risque d’un fil à la patte qui relierait le Royaume-Uni pour une durée indéterminée à l’Union.
Deux membres du gouvernement « brexiters » avaient démissionné dès l’été – David Davis, le ministre du Brexit, et l’europhobe enragé Boris Johnson, ministre des affaires étrangères – ; d’autres ministres leur emboîtent le pas après l’annonce de l’accord conclu avec Bruxelles. La contestation de Theresa May au sein du camp conservateur ne cessera dès lors de grandir.
15 janvier 2019, début d’une série noire pour May à Westminster
Repoussé d’un mois au tout dernier moment par Theresa May, qui pensait parvenir à construire une majorité grâce à ce délai et à négocier avec les Européens un accord modifié, le vote sur l’accord passé avec Bruxelles se tient enfin au Parlement britannique. C’est un nouvel échec pour Mme May, qui perd à 432 voix contre 202. En temps normal, face à un tel rejet, la première ministre aurait remis sa démission. Mais la situation est exceptionnelle, il ne reste que quelques semaines avant la sortie effective de l’Union européenne, prévue pour le 29 mars. Elle reste donc au pouvoir et essuiera d’ici à la date fatidique deux nouveaux échecs. Le 12 mars, les parlementaires britanniques vont à nouveau rejeter son accord et réitérer leur opposition une troisième fois le 29 mars. Le gouvernement de Mme May obtient bientôt un report du Brexit jusqu’au 31 octobre.
24 mai 2019, la fronde de trop
Alors qu’un nouvel échec se profilait devant Westminster, la première ministre a été mise devant un choix cruel : fixer la date de sa démission ou être démise de ses fonctions par le Parti conservateur. Elle a finalement choisi la première option en annonçant, le 24 mai, sa démission. Celle-ci sera effective le 7 juin, après la visite du président américain, Donald Trump, au Royaume-Uni.
Au cours des jours qui ont précédé cette annonce, le processus conduisant à la chute de Mme May s’était accéléré tant il devenait évident que le quatrième vote sur l’accord qu’elle a négocié avec Bruxelles marquerait un nouvel échec pour le gouvernement. La défiance des conservateurs a en effet atteint des degrés inédits à la suite de son discours du 21 mai, ouvrant la possibilité d’organiser un nouveau vote sur un second référendum sur le Brexit.
Entre la démission de sa ministre des relations avec le Parlement, Andrea Leadsom, des élections européennes qui s’annoncent désastreuses pour les conservateurs et l’empressement de figures de son camp à se positionner pour sa succession, Therasa May n’a finalement pas eu d’autre choix que de partir.
L’histoire du Brexit, épisode 1/2 : « Le pari raté de David Cameron »
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