La rocade, l’agent immobilier et le devoir de conseil
La rocade, l’agent immobilier et le devoir de conseil
LE MONDE ARGENT
Un couple vend une maison en dissimulant qu’une rocade sera construire à proximité. Il est condamné à la reprendre. Il se retourne contre l’agent immobilier auquel il reproche de ne pas l’avoir mis en garde contre les conséquences de son mensonge.
Le 27 décembre 2010, José et Marie-Thérèse X vendent leur maison de Bordères-sur-l’Échez (Hautes-Pyrénées) aux Y, sans leur dire qu’une rocade permettant le contournement de l’agglomération de Tarbes sera bientôt construite à 50 mètres. Les X font pourtant partie du conseil d’administration du comité de défense qui, depuis plusieurs années, s’oppose au tracé de cet ouvrage public. Les Y, qui habitent en Guyane, ne soupçonnent rien, et paient le prix demandé (170 000 euros). Dans les semaines qui suivent, ils découvrent à quelles nuisances ils vont être exposés. Le 2 avril 2012, ils assignent les X en nullité de la vente, pour dol.
Le tribunal de grande instance de Tarbes leur donne satisfaction le 26 février 2014, et la cour d’appel de Pau, saisie par les X, confirme le jugement, le 10 juin 2015 : elle considère que « l’existence d’un projet de construction à proximité immédiate d’une rocade de contournement constitue manifestement un élément déterminant dans le cadre des négociations de vente, en raison non seulement des nuisances sonores à venir, ainsi que des importants désagréments causés par la construction, mais encore en raison de l’évidente moins-value que peut provoquer pour l’immeuble l’existence d’une telle voie de circulation à une cinquantaine de mètres de l’habitation ».
Condamnation pour dol
Or, la cour d’appel observe qu’ « aucune pièce n’établit » que le projet de rocade a fait l’objet d’une « information précise » des acquéreurs. Elle examine « avec circonspection » l’attestation fournie aux X par l’agence immobilière, Optimhome, chargée de la vente, moyennant une commission de 6500 euros, du fait que cette dernière « est intéressée à obtenir le débouté » des acheteurs. Le représentant de l’agence y indique que, « durant les deux visites des lieux qu’il a faites avec [les Y], il leur a signalé qu’une rocade était prévue dans le champ voisin et que les travaux et le tracé étaient à la mairie ». La cour estime que « l’agent immobilier n’a ni montré précisément aux acquéreurs l’emplacement de la rocade ni informé ceux-ci de l’importante dépréciation qui allait en résulter ».
Elle conclut que, « compte tenu du caractère déterminant pour les acquéreurs de la présence de la rocade, dont la mention leur aurait procuré la possibilité de négocier une importante moins-value, il y a lieu de considérer que le dol est établi à la charge des vendeurs, qui étaient dans l’obligation, au titre de l’article 1116 du code civil ainsi que de l’obligation de bonne foi dans la négociation des conventions, de mentionner précisément l’existence du projet de rocade, l’imminence du début des travaux, l’implantation du tracé, ainsi que les nuisances susceptibles d’être apportées ». Les X sont condamnés à rembourser aux Y non seulement le prix de vente, mais aussi les frais d’acte notarié avec intérêts depuis le 2 avril 2012, les intérêts d’emprunt déjà acquittés par les Y, et 5 000 euros au titre du préjudice moral.
Assignation de l’agence
Aux abois, José et Marie-Thérèse X, qui revendront leur maison 100 000 euros seulement, assignent Optimhome. Ils lui reprochent d’avoir manqué à son devoir de conseil : connaissant le projet de rocade - comme elle l’a assuré-, elle aurait dû vérifier qu’ils en informaient, par écrit, les Y. Ils affirment que si elle les avait mis en garde contre les risques de condamnation pour dol qu’ils encouraient, ils auraient agi autrement. Ils ajoutent qu’elle aurait dû mentionner l’existence du projet dans les actes de vente Ils demandent qu’elle les indemnise de leur préjudice.
Optimhome refuse de supporter les conséquences de leur mensonge : « N’ayant pas eux-mêmes informé les acquéreurs, [les X] ne peuvent reporter le défaut d’information sur leur mandataire, fût-il un professionnel de l’immobilier !», proteste-t-elle. Elle ajoute que sa mission était limitée à la rencontre des vendeurs et à la visite des lieux, et que la rédaction des actes de vente incombait au notaire.
Absence de faute causale
Le tribunal de grande instance de Tarbes, qui statue le 8 novembre 2016, juge qu’ « aucune faute » ne peut être reprochée à l’agent immobilier, qui n’avait à vérifier ni « l’existence et l’étendue du projet » de rocade, ni « le respect par les vendeurs et le notaire de la notification aux acheteurs de l’existence du projet ».
Les X ayant fait appel, la cour d’appel de Pau se demande, le 30 octobre 2017, si « le choix des époux X de se taire a pu être facilité par une absence de mise en garde de l’agence » et s’ils «auraient pu être amenés à changer d’avis », dans l’hypothèse où l’agence les aurait mis mis en garde contre les conséquences de leur mensonge par omission.
Elle répond par la négative : « Le choix des époux de se taire n’a nullement pu être influencé par l’absence de mise en garde de l’agence » : en effet, « ils n’avaient aucunement besoin du conseil de l’agence pour se rendre compte que leur silence délibéré trompait leurs cocontractants ». Et de conclure : « Que l’agence les ait mis, ou non, en garde contre les conséquences de cette situation, elle n’a commis envers les époux aucune faute causale. » Elle confirme le jugement.
Cassation
M. et Mme X se pourvoient en cassation. Leur avocat soutient qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil aux termes duquel « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution... ». Il affirme que la cour d’appel aurait dû chercher à savoir si « la société Optimhome avait attiré l’attention des époux sur l’importance d’informer les futurs acquéreurs de l’existence d’un tel projet et sur les risques encourus s’ils s’y refusaient ». En effet, explique-t-il, l’agent immobilier est tenu, à l’égard de son mandant, d’un « devoir d’information et de conseil » ; à ce titre, « il doit éclairer son mandant non seulement sur les éléments de fait dont il n’aurait pas connaissance, mais également sur les conséquences et les risques qui s’attachent à l’opération envisagée ».
La Cour de cassation lui donne raison, le 9 janvier 2019 (N°18-10.245): « Il incombait à l’agent immobilier d’informer ses mandants de la nécessité de porter à la connaissance des acquéreurs l’état d’avancement du projet de rocade ». Elle casse et annule l’arrêt et renvoie les parties devant la cour d’appel de Bordeaux.