Ile Seguin : Bolloré quitte le navire
Ile Seguin : Bolloré quitte le navire
Par Grégoire Allix
L’homme d’affaires a mis fin à son projet de « campus numérique » sur 4,5 hectares à Boulogne-Billancourt.
Vincent Bolloré, le 26 juin 2017 à Paris. / ZAKARIA ABDELKAFI / AFP
La malédiction de l’île Seguin a encore frappé. Vincent Bolloré a mis fin au projet de « campus numérique » qui devait occuper le centre de l’île de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Le maire (LR) de la ville, Pierre-Christophe Baguet, l’a confirmé au Monde lundi 27 mai, faisant suite aux informations du JDD. « C’est une séparation à l’amiable, actée déjà depuis quelques semaines », précise l’élu. Le groupe s’est d’ores et déjà fait rembourser les 70 millions d’euros d’avance payés à la municipalité. Ni la ville ni l’industriel n’avaient rendu public ce divorce, qui vient allonger la liste des échecs dans la reconversion du site, depuis la fermeture des usines en 1992.
L’homme d’affaires et la municipalité avaient signé en 2017 une promesse de vente de 4,5 hectares dans l’ancien fief des usines Renault : de quoi implanter le siège et les filiales des groupes Bolloré et Vivendi et leurs dix mille salariés, plus quelques restaurants, crèches, équipements sportifs, dans 150 000 m2 de bureaux autour d’un parc dominé par une tour de 90 mètres de haut. Un projet à 400 millions d’euros qui devait parachever l’aménagement de l’île Seguin et équilibrer les comptes de la société publique locale Val-de-Seine Aménagement.
De nombreuses associations de riverains y étaient hostiles
Problème : l’île Seguin est entourée d’associations de riverains et de défense de l’environnement hostiles au projet, qui multiplient les recours contre le plan d’urbanisme de la municipalité. « L’idée d’en faire une île verte, un grand parc sans aucune construction n’était pas réaliste, mais nous voulions obtenir des avancées sur le jardin central, sur la traversée du site, sur la transparence d’une rive à l’autre », explique Luc Blanchard, de la fédération d’associations écologistes France Nature Environnement.
En novembre 2018, une inédite « médiation juridictionnelle » sous l’égide du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise aboutit à un compromis. En vertu de ce protocole, les quatre associations contestataires renoncent à attaquer le projet s’il respecte un certain nombre de leurs revendications : le jardin passe de 12 000 à 15 000 mètres carrés, la constructibilité du site perd 10 000 mètres carrés, la hauteur des bâtiments est revue à la baisse…
Surtout, le site devra être accessible aux passants grâce à une large allée publique, traversée par cinq « percées » visuelles et piétonnes de vingt mètres de large. « Bolloré souhaitait que le campus soit totalement fermé pour des raisons de sécurité et ouvert à la promenade uniquement le week-end, or le protocole l’obligeait à tout ouvrir et faisait perdre des mètres carrés : le projet n’était plus viable », estime un bon connaisseur du dossier. L’homme d’affaires aurait donc préféré jeter l’éponge plutôt que de transiger.
De nombreux projets avaient déjà échoué
Lors de la signature de l’accord, la municipalité était pourtant confiante dans la poursuite du projet Bolloré, dont des représentants étaient associés à la négociation. « Le retrait de Bolloré n’est pas forcément lié à la médiation », veut croire Pierre-Christophe Baguet, qui suggère que des difficultés propres au groupe pourraient expliquer ce revirement. « Bolloré n’a aucun problème d’endettement ou de trésorerie, il n’y avait aucun obstacle financier ou judiciaire, conteste un proche du dossier. Ce sont les relations difficiles entre la municipalité et les associations qui ont fait capoter l’opération. »
Le maire se veut rassurant pour la suite : « Nous avons de nombreuses candidatures pour prendre le relais, on va resigner très vite avec un nouvel opérateur et on pourra sans doute réévaluer le prix de vente à la hausse. » Le « campus » Bolloré n’est pas le premier projet à faire naufrage sur l’île Seguin : de complications administratives en recours contentieux, la fondation artistique de François Pinault, la « ville artistique » du milliardaire suisse Yves Bouvier et les cinq gratte-ciel dessinés par l’architecte Jean Nouvel ont successivement échoué, depuis quinze ans, à donner un avenir à ce site de 12 hectares stratégiquement situé aux portes de Paris, sur le parcours de la future ligne 15 du Grand Paris Express.
Aujourd’hui, la Seine musicale dresse ses salles de concert à la pointe aval de l’île. A l’autre extrémité, sur la pointe amont, doit démarrer en juin le chantier porté par le groupe immobilier Emerige et son président, Laurent Dumas : une fondation d’art, un multiplexe Pathé, un hôtel de luxe, des bureaux et des commerces. Leur ouverture est prévue en 2023. D’ici là, le cœur de l’île, entre ces deux pôles culturels, aura peut-être enfin trouvé un projet durable.