FRANCE 2 - MARDI 28 MAI. 00H15. DOCUMENTAIRE

Rarement sujet aussi dur, celui des départs pour le djihad en Syrie et en Irak, aura été filmé avec autant de grâce que dans le superbe film de Mari Gulbiani, En attendant papa. La réalisatrice géorgienne s’est immergée pendant plusieurs mois, en 2015, dans la très isolée vallée du Pankissi, dans le nord de la Géorgie. Cette région impénétrable du Caucase, peuplée de Tchétchènes, détient le record incontesté des départs vers le Moyen-Orient, jusqu’à une centaine sur moins de 10 000 habitants.

Venue enseigner le cinéma dans les villages de la vallée, la réalisatrice s’est liée avec deux jeunes amies, Eva et Iman, âgées toutes les deux de 13 ans. L’ombre de leurs pères partis en Syrie plane sur ces adolescentes vives et curieuses, à qui Gulbiani confie volontiers sa caméra. « Je veux être réalisatrice », dit Iman à son père dans un rare dialogue sur Skype. « Ce n’est pas interdit, mais ne mets pas de robe courte », répond celui-ci. Le père d’Eva, lui, essaie en vain d’obtenir que sa famille le rejoigne dans le « califat » de l’Etat islamique. « Ils pensent que tout doit se passer comme eux le veulent », commente la mère, qui préférera finalement l’exil vers l’Europe.

Irruption du cinéma

Mari Gulbiani ne fait qu’effleurer le thème du djihad. Sa caméra choisit de s’attarder sur la beauté inquiétante des montagnes du Pankissi, sur les jeux des adolescentes, sur l’irruption du cinéma dans leur vie… Lorsque la jeune Eva se grime en Charlie Chaplin et enfile un chapeau noir sur son voile, pour les besoins du film qu’elle tourne avec son amie, ce n’est plus de traditions ou de guerres qu’il est question, mais de cinéma et de rêves.

L’hémorragie des départs – favorisée par l’implantation continue de mosquées wahhabites dans une région très traditionaliste, dans les années 2000 – n’apparaît qu’au détour des conversations. « Les jeunes sont devenus fous », souffle une vieille dame au visage raviné comme les montagnes. « Les plus malheureux sont ceux qui restent », lui répond son voisin, qui s’avère être le père du plus célèbre des djihadistes de la vallée, le longtemps insaisissable Omar Al-Chichani, tué en 2016, durant le tournage.

Depuis l’adoption par la Géorgie d’une politique volontariste et répressive, les départs des Tchétchènes du Pankissi ont quasiment cessé. Pour les pères, les frères et les fils qui n’ont pas trouvé la mort dans les derniers combats menés par l’EI à Raqqa ou Mossoul, le retour est impossible. « D’eux il ne reste rien, pas même un nom sur une tombe », tranche l’une des vieilles immuables.

En attendant papa, réalisé par Mari Gulbiani (Gé./ Fr./All., 2019, 52 min).