Détresse aux urgences
Détresse aux urgences
Editorial. De nombreux services d’urgence sont en grève pour réclamer des moyens supplémentaires. Le gouvernement a tardé à réagir et ses propositions ne sont pour l’instant pas à la hauteur du malaise.
Manifestation d’urgentistes, à Paris, le 6 juin. / AURORE MESENGE / AFP
Editorial du « Monde ». Depuis près de trois mois, après une série d’agressions à l’hôpital parisien Saint-Antoine, un mouvement de grève, lancé par un collectif, auquel des syndicats se sont joints, affecte 80 services d’urgences, sur un total de 478 dans le public, dans toute la France. Les soignants en grève réclament une augmentation de salaire de 300 euros net par mois, des effectifs supplémentaires et une sécurisation des locaux. A moins de se mettre en arrêt-maladie, comme des infirmiers l’ont fait, le 3 juin, à l’hôpital Lariboisière, ils continuent à travailler en arborant un brassard, à la japonaise, pour indiquer qu’ils sont… en grève. Les centaines de manifestants qui ont défilé, jeudi 6 juin, à Paris, jour du « Desolation Day des urgences », ont pris un jour de congé.
Les urgentistes tirent le signal d’alarme sur la situation de détresse de leurs services, qui doivent faire face à une forte hausse de la demande avec un cruel manque de moyens et une pénurie de médecins, qui va encore s’aggraver durant l’été. De plus en plus souvent, les patients expriment leur colère, parfois de façon violente.
Entre 1996 et 2016, la population prise en charge aux urgences est passée de 10 millions à 21 millions. Lors du congrès des urgentistes, jeudi, François Braun, président de l’association SAMU-Urgences de France, s’est fait l’interprète de cette montée des tensions en lançant à Agnès Buzyn, la ministre de la santé : « La situation est tellement dégradée que nous ne pouvons pas attendre, au risque de voir les morts se succéder dans les salles d’attente. »
Câlinothérapie
Mme Buzyn, qui connaît bien les conditions de travail dans les hôpitaux pour y avoir exercé son métier, ne semble pas avoir pris la mesure de cette contestation. Elle a mis du temps à réagir. Jeudi, devant le congrès des urgentistes, elle a récusé toute « solution miracle » et elle a promis une « stratégie d’ensemble ». La ministre s’est surtout livrée à un exercice de câlinothérapie en s’en tenant à un registre compassionnel. « Le quotidien est devenu insupportable pour beaucoup d’entre vous, a-t-elle assuré. Ces difficultés, je ne les regarde pas avec une distance froide de gestionnaire. »
La ministre a également reçu, pour la première fois, le collectif et les syndicats, qui n’ont pas caché leur déception. La CGT et SUD envisagent ainsi d’étendre la grève à l’ensemble des personnels hospitaliers, le 11 juin, même s’ils ont peu de chances d’être suivis. Mme Buzyn a annoncé qu’une mission nationale aura à élaborer une politique destinée à « adapter nos urgences aux nouveaux besoins de santé ». Si elle n’a pas donné de montant chiffré, elle a invité les agences régionales de santé à apporter « plus directement et plus spontanément » leur soutien financier aux hôpitaux qui ont un surcroît d’activité. Et elle a fait un geste en souhaitant que la « prime sécurité » (97,69 euros brut par mois) soit relevée « partout où cela est justifié ».
Au Ve siècle avant Jésus-Christ, Hippocrate, dans son Serment, évoquait déjà l’urgence en ces termes : « Il faut profiter de l’occasion de porter secours avant qu’elle n’échappe et on sauvera ainsi le malade pour avoir su en profiter. » Il conseillait aux médecins d’avoir en permanence une trousse de secours. La réaction du gouvernement face aux détresses des services d’urgence est insuffisante. Pour l’heure, c’est trop peu et bien tard.