A tour de rôle, les joueurs se frottaient les yeux, se retournaient avant de servir entre deux bourrasques et tentaient tant bien que mal de dompter l’adversaire invisible. / MARTIN BUREAU / AFP

Ce n’était même plus un court de tennis mais un « bac à sable », dixit Roger Federer. Les deux demi-finales messieurs de Roland-Garros s’annonçaient appétissantes sur le papier. Elles firent toutes les deux pschitt car un invité de dernière minute est venu gâcher la fête. Vendredi 7 juin, la tempête Miguel a balayé le court Philippe-Chatrier et le vent a joué les adversaires invisibles.

Il fallait doublement batailler, contre le joueur en face du filet et ce troisième homme bruyant et espiègle. Ce n’était pas les hauts de hurlevents mais pas loin. Le court Central – clairsemé la moitié de la première demi-finale, aux trois quarts vides pour la seconde – était constamment parcouru par des mini-tornades de poussière ocre se déposant jusque dans les hauteurs des tribunes : à tour de rôle, les joueurs se frottaient les yeux, se retournaient avant de servir entre deux bourrasques, bref, tentaient tant bien que mal de dompter l’élément. On vit même à un moment un chapeau (lors de Federer-Nadal) et un parapluie (lors de Djokovic-Thiem) jouer les intrus sur le court, portés par des rafales.

Porté par une rafale, le parapluie d’un spectateur a atterri sur le court. / THOMAS SAMSON / AFP

« Il y avait tellement de vent, c’était dingue. Pas d’excuse, mais c’était juste fou. A un moment, vous êtes juste content de faire des coups sans avoir l’air ridicule. Là, je vais commencer par me vider les yeux sinon ce soir, avec Rafa, on aura du mal à voir ce que l’on mange », a plaisanté, bon perdant, Roger Federer, terrassé une nouvelle fois par l’Espagnol (6-3, 6-4, 6-2). Le Suisse ne s’est pas cherché d’excuses, rendant un hommage appuyé à son adversaire : « On ne dirait pas mais je me suis battu. Les conditions étaient les mêmes pour les deux. Plus le match avançait, mieux il s’est senti dans le vent. Je ne sais pas si vous imaginez le niveau qu’a atteint Rafa sur terre. La manière dont il défend le court, dont il joue sur terre battue… Personne ne se rapproche de lui. Je ne sais même pas avec qui je pourrais m’entraîner pour reproduire un niveau proche du sien… Je pensais à ça pendant le match. »

Don Nadal de Manacor et Rafael d’Arabie

Vendredi, ce n’était plus don Nadal de Manacor, mais Rafael d’Arabie. L’Espagnol a rendu une copie très moyenne par rapport à ses standards mais il a su maîtriser les bourrasques sans jamais se frustrer. « Je me suis dit qu’il ne fallait pas se plaindre. C’était un jour à accepter toutes les conditions adverses, à rester concentré et positif tout le temps. C’est ce que j’ai essayé de faire. Vu les conditions qu’on avait, on a joué à un niveau vraiment excellent. »

Novak Djokovic, lui, était mal embarqué face à Dominic Thiem quand sa partie a été interrompue dans le troisième set (l’Autrichien mène 3-1 après avoir remporté le premier 6-2 et perdu le deuxième 6-3). Comme Federer face à Nadal, le Serbe était décontenancé. Mais contrairement au Suisse, il s’en est vite agacé, montrant des signes d’énervement et demandant même au superviseur d’interrompre la partie dès le premier set. Mais rien dans le règlement n’indique qu’un match peut être suspendu à cause du vent, sauf si les conditions deviennent dangereuses pour les joueurs. Le juge-arbitre du tournoi a finalement décidé d’arrêter la rencontre quand les rafales ont atteint les 90 km/h.

Le Serbe est à Paris en mission, alors pas question de laisser le moindre grain de terre battue enrayer la machine. Détenteur des trois dernières levées du Grand Chelem (Wimbledon et US Open 2018, Open d’Australie 2019), le numéro un mondial a l’occasion de signer un Grand Chelem à cheval sur deux saisons, ce que ni Nadal ni Federer n’ont réussi à faire ne serait-ce qu’une fois. S’il y parvient, il deviendrait le premier joueur de l’ère Open à gagner chacun des Majeurs au moins deux fois.

Ce serait même son deuxième « Djoko-slam », qu’il avait déjà réalisé en 2015-2016, en enchaînant victoires à Wimbledon, US Open, Open d’Australie et Roland-Garros. Mieux, il peut encore faire le Grand Chelem, le vrai, celui qui démarre en janvier à l’Open d’Australie et se termine en septembre à New York.

L’Autrichien Dominic Thiem essaie d’éviter les bourraques, vendredi 7 juin, lors de sa demi-finale contre Novak Djokovic. / Michel Euler / AP

« Plus ma carrière avance, et plus je ressens cette idée d’écrire l’histoire, disait-il après son quart de finale. C’est l’une de mes grandes motivations. Et quel meilleur moyen de le faire qu’en gagnant des Grands Chelems et en restant n° 1 mondial le plus longtemps possible ? C’est le summum qu’on peut espérer. »

Sauf que Dominic Thiem est bien décidé à l’en empêcher. Reprise des hostilités samedi à midi.