« Maîtresse d’un homme marié », la série télé qui divise le Sénégal
« Maîtresse d’un homme marié », la série télé qui divise le Sénégal
Par Salma Niasse Ba (Dakar, correspondance)
La fiction, qui aborde notamment les thèmes de la sexualité et de la polygamie, choque une partie du pays, majoritairement musulman et très croyant.
Les cinq actrices principales de la série « Maîtresse d’un homme marié ». / Facebook
Nuisette légère, flirt au lit et moments de tendresse… Les anciens amants Marème Dial et Cheikh Diagne, désormais mariés, savourent leur lune de miel. Si l’épisode 33 de « Maîtresse d’un homme marié », série star au Sénégal, résonne pour une partie des téléspectateurs comme une revanche après un scénario alliant liaison secrète et mariage polygame, la scène choque une partie du pays. Au point que l’ONG islamique Jamra, qui s’était élevée contre cette fiction dès les premiers épisodes, a de nouveau saisi le Conseil national de régulation audiovisuelle (CNRA).
Avec ses millions de téléspectateurs hebdomadaires et ses 2,4 millions d’internautes, la série, diffusée sur la chaîne privée 2STV depuis le 25 janvier, est devenue un phénomène de société. Chaque lundi et vendredi, à 21 heures, le Sénégal attend fébrilement la suite des aventures de Marème Dial, Cheikh Diagne et Lalla Ndiaye. Mais au pays du sutura (pudeur), certains estiment la fiction scandaleuse. Qu’on soit fan ou critique, le sujet fait désormais autant parler que les débats politiques dont les Sénégalais sont si friands.
Le scénario, inspiré du quotidien de femmes sénégalaises, est simple et novateur. Il met en scène Lalla Ndiaye, une parfaite ménagère dont le mari a une liaison avec Marème Dial. C’est cette dernière qui est l’objet de toutes les polémiques. Son franc-parler comme ses rapports hors mariage, assumés, détonnent dans le paysage télévisuel sénégalais et divisent le pays. Il y a les pro-Lalla, touchés par son histoire ou partisans de la monogamie, et les pro-Marème, qui défendent la grande séductrice et, pour certains, la polygamie, puisqu’elle devient par la suite la co-épouse de Lalla.
Autour de ces personnages gravitent d’autres femmes, incarnant chacune un fait de société. Djalika Sagna joue la « working girl » qui s’occupe aussi de son foyer et subit la violence de son mari alcoolique. « Elle représente la société sénégalaise par excellence, explique la scénariste, Kalista Sy. C’est une victime. Elle encaisse beaucoup et pense que tout ce qui lui arrive est normal. Et comme les Sénégalais, elle est la première à juger les autres. » Pourtant, Djalika décide un jour de s’affranchir du poids de son mariage et du regard de la société. A ses côtés dans cette épreuve, sa meilleure amie, Dior Diop, encore traumatisée par son mariage forcé. Enfin, la cinquième femme à l’affiche de la série, Racky Sow, est hantée par un viol qu’on pensait jusqu’alors familial… « mais pas si sûr ! », lance Kalista Sy, qui annonce que « la série réserve encore beaucoup de surprises ».
« La promotion de l’adultère et de la fornication »
Alors que « Maîtresse d’un homme marié » montre le quotidien des femmes et leur rôle dans la société, certaines de ses séquences sont vécues comme « offensantes » dans un pays à majorité musulmane et très croyant, au point que le CNRA a mis en demeure 2STV, le 31 mai, jugeant certains clichés « indécents, obscènes ou injurieux » et certaines scènes « susceptibles de nuire à la préservation des identités culturelles ».
La polémique a commencé dès la première diffusion, avec un dépôt de plainte du Comité de défense des valeurs morales du Sénégal auprès du CNRA, le 31 janvier. « Cette série fait la promotion de l’adultère et de la fornication. C’est une dérive audiovisuelle qui, à travers le scénario, propose un mimétisme déplorable des cultures occidentales », a déclaré le président de l’association, Mame Makhtar Guèye, le 19 mars sur la chaîne privée 7TV. Après délibération, le CNRA a décidé de laisser la diffusion se poursuivre, « sous réserve de mesures correctives à apporter ».
Kalista Sy, qui avait d’abord refusé de commenter la polémique, explique n’avoir aucune intention de bousculer les codes, mais la volonté de pousser à la réflexion. « Marème est la seule de la série qui pose problème, parce qu’elle est entière, non conventionnelle et représente cette part de nous, audacieuse, que nous préférons cacher. Elle a été créée pour le débat et ça marche », explique-t-elle. L’histoire de Marème sert de leçon à « certaines femmes, maîtresses, qui, en regardant la série, remettent en cause leur situation », témoigne Halimatou Gadji, l’interprète du rôle.
Alors que les Sénégalais se passionnent pour les novelas sud-américaines et regardent aisément des productions occidentales comprenant des scènes d’amour plus explicites, Marème ébranle et effraie une partie de la société qui assiste, impuissante, à l’évolution de ses valeurs traditionnelles heurtées de plein fouet par la mondialisation. Mais si le débat se cristallise sur Marème Dial et si la série a été médiatisée pour cette raison, « Maîtresse d’un homme marié » a aussi trouvé son public en valorisant les sociétés africaines à travers les tenues de créateurs locaux, les actrices aux cheveux crépus et les scripts en wolof.
Dépression, harcèlement scolaire et alcoolisme
Polygamie, dépression, sexualité, mariage forcé… Les thèmes abordés sont variés et, en filigrane, le spectateur en découvre d’autres. Comme le rôle du psychologue, la maladie d’Alzheimer, le harcèlement scolaire ou l’addiction à l’alcool. « Le but n’est pas de dénoncer, mais de faire prendre conscience », argue la scénariste, qui s’est mise à l’écriture parce qu’elle ne s’identifiait pas aux scripts généralement écrits par des hommes pour « valoriser la femme, trop souvent construite autour de son mari ».
Une approche féministe que les comédiennes ont faite leur. « Je me considère comme un miroir de la société, estime Halimatou Gadji. Ce rôle n’a pas été facile à endosser. On confond souvent ma personne avec mon personnage et j’entends beaucoup de choses dures. Si c’était un homme, il n’y aurait pas les mêmes remarques. Toute femme est aussi libre de sa sexualité. » Pour Ndiaye Ciré Ba, qui interprète le rôle de Djalika, il s’agit en réalité de montrer les deux facettes de la société : « Nous sommes entre deux générations, l’ancienne aux normes traditionnelles, et la nouvelle, calquée sur le modèle occidental. Aux deux, nous tentons de porter un message. »
Et ce n’est pas terminé. Si le premier couple adultère est désormais marié, Kalista Sy promet l’entrée en scène d’« une autre maîtresse avec une histoire beaucoup plus rocambolesque ». La série n’a pas fini de faire parler.
« Pourquoi j’ai toujours voulu épouser un homme polygame »