Sélection cinéma du « Monde » : vaudou, Delon et courts-métrages
Sélection cinéma du « Monde » : vaudou, Delon et courts-métrages
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LA LISTE DE LA MATINALE
A voir dans les salles, à partir de mercredi 12 juin : un film de « zombi » par Bertrand Bonello, entre Paris et Haïti, la version intégrale du Professeur, réalisé en 1972 par Valerio Zurlini et coproduit par son acteur principal, Alain Delon. Ou encore un festival de courts-métrages à Pantin en Seine-Saint-Denis.
« Zombi Child » : un film vaudou, entre esclavage et amour
ZOMBI CHILD Bande Annonce (Cannes 2019) Film Adolescent Français
Durée : 02:02
En 1962, à Haïti, un homme ordinaire nommé Clairvius Narcisse (Bijou Mackenson) fut intoxiqué par une poudre glissée dans sa chaussure, et transformé en « zombi », pauvre créature humaine privée de volonté et exploitée sans merci dans les plantations de canne à sucre. En parallèle, on suit en France et de nos jours le parcours de Fanny (Louise Labèque), lycéenne pensionnaire de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, à Saint-Denis, qui se languit d’amour pour un garçon éloigné.
Fanny propose d’intégrer à sa sororité littéraire une camarade de classe d’origine haïtienne, Melissa (Wislanda Louimat), dont la solitude et l’étrange réserve semblent recouvrir un inquiétant secret, ayant partie liée avec la pratique du vaudou.
En entremêlant ainsi deux réalités distantes dans l’espace et dans le temps, le film ouvre entre elles toute une chambre d’échos réels ou imaginaires, qui définissent le champ d’une certaine hantise historique ou, en d’autres termes, la survivance d’une époque dans une autre. Sous les volutes de magie noire, l’amour remonte le cours du temps, réactive le labyrinthe de la mémoire et se porte garant d’une histoire démantelée, dont la seule continuité réside sur le terrain des affects. Mathieu Macheret
« Zombi Child », film français de Bertrand Bonello. Avec Louise Labèque, Wislanda Louimat, Adilé David, Ninon François, Mathilde Riu (1 h 43).
« Le Professeur » : Alain Delon au sommet de sa beauté
Le Professeur (Alain Delon) : bande-annonce (reprise HD 2019)
Durée : 01:54
La ressortie en salle du Professeur, de Valerio Zurlini, est un événement pour bien des raisons. Il sera donné enfin au spectateur de découvrir la version intégrale d’un film qui fut en son temps distribué avec des coupes conséquentes (plus de vingt minutes) imposées par son coproducteur et acteur principal, Alain Delon. Mais aussi de revoir et reconsidérer cette œuvre qui laissa la critique française perplexe à sa sortie en 1972 – à quelques exceptions près, dont Jean de Baroncelli dans Le Monde. Pas vraiment hostile, mais peu emballée par ce qu’elle ne parvenait pas catégoriser avec précision.
C’est, dit-on, Luchino Visconti qui présenta Alain Delon à Valerio Zurlini. Celui-ci lui fit lire un scénario qu’il avait déjà proposé à Marcello Mastroianni. L’acteur accepta immédiatement, voyant dans le rôle qu’on lui proposait une manière d’échapper à ses habitudes.
Il y interprète Daniele Dominici, un professeur de lettres remplaçant qui arrive à Rimini (Emilie-Romagne), en plein hiver, pour enseigner dans un lycée. Peu inspiré par ce qui ne semble pas être vraiment une vocation, il fréquente le soir des parties de poker au cours desquelles il perd sans émoi son argent et se fait quelques amis douteux.
Une certaine abjection se mêlant à la passion font la singularité du film. Mal rasé, d’une pâleur d’insomniaque, défait, constamment vêtu d’un pardessus beige, Alain Delon est ici au sommet de sa beauté, une beauté dont il livre une face sombre et bouleversante. Jean-François Rauger
« Le Professeur », film italien de Valerio Zurlini (1972). Avec Alain Delon, Sonia Petrova, Giancarlo Giannini (2 h 12).
Festival Côté court : hommage au court-métrage
Conserva Acabada (1990)
Durée : 01:36
La jeunesse qui remplit les terrasses du Ciné 104 à Pantin (Seine-Saint-Denis), lors de chaque édition du festival Côté court, est un indice ou plutôt une promesse : le cinéma est un art bien vivant et la salle n’a pas dit son dernier mot.
A l’excitation d’une nouvelle génération invitée à montrer ses premières œuvres répond la curiosité d’un public qui peut facilement approcher les équipes de films et découvrir la programmation foisonnante pour un « pass » à 25 euros.
La 28e édition de Côté court confirme son identité de tête chercheuse, croisant les regards, les disciplines et les générations, avec deux compétitions (fiction et essai-art vidéo), des sections hybrides (Ecran libre et Panorama), un focus sur le Portugal, faisant se côtoyer la « nouvelle vague » (Miguel Gomes, Joao Pedro Rodrigues, Salome Lamas) et les « maîtres » (Joao Cesar Monteiro, Manoel de Oliveira). Clarisse Fabre
Festival Côté Court, Ciné 104, 104, avenue Jean-Lolive, Pantin (Seine-Saint-Denis). Jusqu’au 15 juin.
« Journal d’un maître d’école » : une expérience ciné-pédagogique
Vittorio De Seta parla di: Diario di un Maestro
Durée : 11:13
Certaines œuvres émergeant d’une longue nuit d’oubli sont restituées avec d’autant plus d’urgence que leurs questionnements sont restés sans réponse. C’est le cas de Journal d’un maître d’école, film en quatre épisodes réalisé pour la télévision publique italienne (RAI) par Vittorio De Seta, disponible dans un très beau livre-DVD (éd. L’Arachnéen) retraçant précisément le contexte et l’histoire atypique de sa production.
Méconnu et très rarement montré en France, alors qu’il rencontra un grand succès (20 millions de spectateurs) en Italie, lors de sa diffusion en 1973, c’est une merveille d’audace et d’intelligence.
Inspiré des théories de pédagogues réformateurs comme Célestin Freinet ou Mario Lodi, mené comme une expérience pédagogique in vivo, dans un partage des pouvoirs respectifs de la fiction et du documentaire, Journal d’un maître d’école explore les conditions possibles d’une nouvelle façon d’enseigner, en opposition à une institution scolaire sclérosée et désinvestie.
La sidérante beauté du film tient précisément à cela : que l’apprentissage et la transmission prennent forme sous nos yeux, arrachés à la misère et à l’inaction des pouvoirs publics. Les visages expressifs des élèves, leur rage explosive, la confiance qu’ils finissent par reconquérir constituent la trame d’un des plus beaux poèmes de l’enfance du cinéma italien. M. M.
« Journal d’un maître d’école », film en quatre épisodes de Vittorio De Seta (1973). « Le film, un livre », sur une idée de Federico Rossin. L’Arachnéen, 30 €.