Janine van Wyk lors du premier match de poule face à l’Espagne, le 8 juin au Havre. / PHIL NOBLE / REUTERS

Courbée, les mains posées sur les cuisses, Janine van Wyk accuse le coup, en silence. La défenseuse sud-africaine vient de provoquer, samedi 8 juin, le penalty qui va relancer l’Espagne lors du premier match de Coupe du monde féminine de l’histoire de sa sélection, perdu 3-1 par les Banyana Banyana. L’image est inhabituelle pour la capitaine de 32 ans, comptant 167 sélections, jamais avare en paroles sur et hors du terrain.

« Janine est une véritable leader, elle mène en montrant l’exemple, elle a un grand cœur et elle se bat jusqu’à la fin », confiait la sélectionneuse sud-africaine, Desiree Ellis, avant la compétition. « Elle fait bien attention de communiquer avec toutes ses partenaires », saluait celle qui a fait partie de la toute première équipe féminine du pays dans les années 1990.

Une pionnière aux Etats-Unis

Si les Sud-Africaines prêtent autant l’oreille à van Wyk, c’est d’abord parce qu’elle a l’expérience du haut niveau, contrairement à la majorité des joueuses de la sélection. Une expérience acquise lors du tournoi olympique des Jeux de Londres en 2012, mais surtout en 2017, quand elle fut la première Sud-Africaine à jouer dans la prestigieuse ligue américaine avec l’équipe des Houston Dash.

« En tant que capitaine, je dois pousser mes coéquipières, elles ont beaucoup de talent mais peu d’opportunités de le démontrer au monde entier », expliquait van Wyk avant la Coupe du monde. Depuis son « rêve américain », qui n’a duré qu’une saison, elle a ouvert la voie à quelques compatriotes, comme l’attaquante Thembi Kgatlana, à Houston puis en Chine, ou la milieu Leandra Smeda, en Suède.

En 2018, la défenseuse a fait le choix de revenir en Afrique du Sud dans le club qu’elle a créé et qui porte son nom, le JVW FC, afin de s’entraîner au plus près de sa sélection. Mais si, aujourd’hui, la capitaine est respectée et écoutée, communiquer n’a pas toujours été naturel pour elle.

Le jeu comme seule expression dans la communauté noire

Van Wyk a grandi à Alberton, une ville à forte majorité blanche, dans la province du Gauteng, au nord-est de l’Afrique du Sud. Elle a commencé le football à l’âge de 5 ans avec les garçons des alentours, avant de chercher une équipe féminine à 14 ans. Elle dû alors se tourner vers la communauté noire, où le football était plus populaire. Devenue une curiosité dans le canton voisin du KwaThema, la joueuse a fait l’expérience d’un autre monde.

« Nous avons 14 langues différentes en Afrique du Sud, et je n’en parle que deux, ni l’une ni l’autre ne sont parlées par la communauté noire. C’était une épreuve pour moi », se remémorait la capitaine, avant le Mondial. Mais heureusement, la jeune van Wyk avait déjà du talent et n’avait pas de mal à faire parler sa technique pour elle. Les gens se pressaient pour venir voir jouer « la fille blanche ».

A 15 ans, elle dut trouver d’autres mots pour faire son coming out à ses parents. Si la jeune femme n’a pas tout de suite été acceptée par sa famille, elle se souvient du regard bienveillant de ses coéquipières de l’époque vis-à-vis de son homosexualité. « C’était plus courant chez les filles noires », confiait-elle.

Trois ans plus tard, en 2005, la voilà déjà en équipe nationale, alors qu’elle enchaînait en club, avec les Palace Super Falcons, les titres régionaux, alors la plus haute distinction pour les footballeuses sud-africaines.

Mais un drame la touche, en 2008, lorsque sa coéquipière en équipe nationale, Eudy Simelane, homosexuelle et militante pour les droits des personnes LGBT, est violée et assassinée. « J’étais jeune, c’était effrayant pour moi à l’époque. Je pensais “tu ne peux pas vivre comme tu le souhaites” », raconte aujourd’hui van Wyk. De ces années de lutte, elle tire un engagement qui dépasse largement le cadre du terrain de football.

Une voix en dehors du terrain

« Sois assez audacieuse pour utiliser ta voix (…) », a-t-elle posté sur Twitter deux jours avant l’ouverture de la Coupe du monde. Et la capitaine sud-africaine fait régulièrement entendre sa voix en faveur des droits des personnes de la communauté LGBT. Dernièrement, elle a aussi publiquement apporté son soutien à sa compatriote Caster Semenya, dans le viseur de la Fédération internationale d’athlétisme qui veut obliger la coureuse hyperandrogène sud-africaine à prendre des médicaments pour faire baisser son taux de testostérone, si elle veut continuer à concourir avec les femmes.

Van Wyk est aussi active auprès des jeunes publics. En 2012, elle a lancé un programme de développement du football pour les filles dans sa province natale. Celui-ci comprend un club professionnel, le JVW FC, ainsi qu’une ligue destinée aux lycéennes. Aujourd’hui, le programme compte 3 600 jeunes joueuses.

Un travail qui commence à porter ses fruits : la fédération sud-africaine a annoncé la création d’une ligue professionnelle nationale en août 2019, et Van Wyk a déjà prévu de retourner au pays après la Coupe du monde pour participer à son lancement.

Mais avant cela, les Banyana Banyana doivent retrouver de l’élan lors du Mondial, avec deux matchs de prestige face à la Chine jeudi, et l’Allemagne lundi 17 juin, dans le cadre du groupe B. Nul doute que van Wyk saura trouver les mots pour remotiver ses troupes. Reste à savoir dans quelle langue.