L’Eglise de France lance un « travail commun » avec les enfants de prêtres
L’Eglise de France lance un « travail commun » avec les enfants de prêtres
Par Faustine Vincent
Trois fils et filles de prêtres ont été reçus jeudi par des évêques à Paris. Cinq objectifs ont été fixés à l’issue de cette rencontre inédite et hautement symbolique.
« Aujourd’hui est un grand jour. » Trois fils et filles de prêtres, membre de l’association Les enfants du silence (EDS), ont été reçus jeudi 13 juin par des évêques à Paris. Cette rencontre inédite et hautement symbolique, tenue à huis clos, marque la reconnaissance de ces hommes et de ces femmes par l’Eglise de France après des siècles de déni. « L’institution religieuse nous ouvre enfin les portes. Nous ne sommes pas encore reçus au Vatican, mais cela reste une grande avancée », se réjouit Anne-Marie Jarzac, 68 ans, fille d’un prêtre et d’une nonne et présidente d’EDS, qui compte une soixantaine de membres.
L’archevêque de Bourges, Mgr Jérôme Beau, et sa commission chargée des questions de formation et de vie des prêtres (la Commission épiscopale pour les ministres ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale, Cémoleme) ont accueilli la délégation dans les locaux de la Conférence des évêques de France (CEF).
L’échange, d’une durée de deux heures, a permis à ces enfants de prêtres, rejetés, humiliés, élevés dans la honte et le secret, de raconter leur vécu et leurs souffrances. « Cela s’est déroulé dans un climat de confiance, avec une écoute bienveillante. On a senti une volonté de travailler ensemble pour que ces drames ne se reproduisent plus », confie Mme Jarzac.
« C’est la première fois que je rencontrais des enfants de prêtres, assure de son côté Mgr Beau. J’ai découvert ce que l’inconscient social avait fait peser sur eux. Cette rencontre est importante parce que cela permet de leur redonner confiance et d’être fiers de leur histoire. » A ses yeux, elle marque non seulement leur reconnaissance par l’épiscopat français, mais aussi le lancement d’un « travail commun » entre les autorités religieuses et les enfants de prêtres.
Accès aux archives
Cinq objectifs ont été fixés, a annoncé au Monde Mgr Beau : une veille de l’association pour expliquer aux dignitaires religieux les difficultés rencontrées par ces enfants ; la mise en place d’un interlocuteur dans chaque diocèse pour les rencontrer et les aider ; l’accès aux archives de l’Eglise afin qu’ils puissent connaître leurs origines ; l’accompagnement « social, humain et psychologique » pour eux mais aussi leur mère et leur père « afin de permettre à chacun d’assumer humainement, spirituellement et psychologiquement cette étape de leur existence » ; et l’objectif de « continuer à travailler ensemble ». « C’est une décision de partenariat très importante, poursuit Mgr Beau. Cela va nous aider à avancer avec des personnes qui connaissent la question de l’intérieur. »
Comme Le Monde l’avait révélé, cette rencontre a été proposée par les autorités religieuses lors du tout premier échange, le 4 février, entre un haut dignitaire de l’Eglise de France, Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire général de la CEF, et des représentants des Enfants du silence.
D’autres réunions sont prévues avec les évêques pour mener ce travail de longue haleine. La prochaine se tiendra le 1er octobre avec un ordre du jour, en l’occurrence l’accès aux origines. « C’est un thème extrêmement important, insiste Mme Jarzac, car jusqu’à présent les enfants de prêtres n’y avaient pas accès, nous renvoyant à notre condition d’enfants de la transgression. » Beaucoup ignorent encore qui était leur père.
Vers l’élaboration d’une charte
Le travail mené avec l’association doit aussi permettre, à terme, d’élaborer une « charte » en France pour savoir quelle attitude adopter lorsqu’un prêtre a un enfant au cours de son sacerdoce, précise Mgr Beau. Le Vatican a déjà un document interne, jamais publié, qui fixe les règles sur cette question délicate, mais le prélat estime que cette « grille de comportement » française est nécessaire, « même si cela fait doublon, parce qu’elle aura été élaborée avec les premiers concernés ». Selon le document interne de Rome, rédigé en 2009, la règle consiste à privilégier « le bien de l’enfant » en abandonnant la prêtrise et en l’assumant.
Le fruit de la collaboration entre les enfants de clercs et les autorités religieuses aura aussi un impact sur la formation des prêtres. La question sera abordée lors des séminaires afin de les « mettre en garde lorsqu’un comportement n’est pas conforme à la chasteté ». « Cela permettra d’améliorer la formation sur le plan humain et affectif », assure Mgr Beau. Lors de l’entretien, l’association a tenté de soulever la question du célibat des prêtres, mais le sujet n’a « pas été approfondi », élude le prélat.
Mme Jarzac a également fait part de son « étonnement » face au temps qu’il aura fallu pour que l’Eglise accepte enfin d’entendre les enfants de prêtres. « Ils nous ont répondu que l’institution était un grand paquebot, et qu’elle allait avancer doucement, mais sûrement. »