En Algérie, des organisations de la société civile se mettent d’accord pour une « transition de six mois à un an »
En Algérie, des organisations de la société civile se mettent d’accord pour une « transition de six mois à un an »
Par Zahra Chenaoui (Alger, correspondance)
Pour la première fois depuis le début du mouvement de protestation, des syndicats et des associations ont réussi à trouver un consensus pour une sortie de crise.
Des représentants de la société civile se réunissent à Alger, samedi 15 juin 2019, pour trouver un consensus sur une sortie de crise. / RYAD KRAMDI / AFP
Très attendue, la première Conférence nationale des dynamiques de la société civile réunie samedi 15 juin à Alger, est parvenue à un texte commun. Ces collectifs, associations et syndicats autonomes algériens, d’idéologies très différentes, ont adopté un cadrage « pour une sortie de crise et une transition démocratique ». Le document s’accorde sur la nécessité d’« une période de transition allant de six mois à un an », l’installation d’une « commission indépendante pour diriger, organiser et déclarer les résultats des élections » ; le but étant d’aller « vers une nouvelle République ».
Après plusieurs mois de discussions, alors que les Algériens manifestent chaque semaine depuis le 22 février et demandent un changement de régime, les travaux de cette centaine de personnes réunies dans un local syndical sont une étape importante.
Trois grands groupes étaient présents dans cette assemblée d’une centaine de personnes : la Confédération des syndicats autonomes, qui regroupe 13 syndicats et des groupements professionnels ; le Forum civil pour le changement, composé de 70 associations locales et nationales ; et le Collectif de la société civile, qui réunit une vingtaine d’organisations et de syndicats. Ce qui rend le consensus obtenu totalement inédit. « Depuis l’Indépendance, ça n’était jamais arrivé d’avoir toutes ces tendances autour d’une table », explique Hakim Addad, membre du Réseau action jeunesse (RAJ).
Négociations tendues
Le texte adopté est le fruit de négociations tendues, notamment sur la modalité de sortie de crise. Il y a quelques semaines, le Forum civil défendait coûte que coûte une élection présidentielle et une transition sous moins de six mois, tandis que le Collectif de la société civile souhaitait, lui, une modification de la Constitution. « Le fait que le texte d’aujourd’hui ne mentionne pas d’élection présidentielle et évoque une transition est une grande évolution », souligne Nacer Djabi, sociologue, qui a suivi les discussions.
Dans la salle de réunion, le débat a été long et âpre. « La feuille de route pose question, pense Nadia Djadour, représentante du Snapap, un syndicat autonome. On parle de désigner une commission pour organiser les élections, mais qui désigne ? L’armée ? On fait des concessions dès le début, alors que dans des négociations, il faut commencer par viser haut », soupire-t-elle. « L’Algérie a besoin d’un président qui gère le pays », estime pour sa part Medjamia Bencherfi, représentant de l’Union nationale des personnels de l’éducation et de la formation (Unpef). Pour lui, « parler de période de transition implique de prendre beaucoup de temps, car il faudra de longs débats ».
Aussi historique soit-il, l’accord signé a évidemment fait des déçus. « Tu as vu comme ils essaient de revenir en arrière ? », lance un participant, membre du Collectif de la société civile, qui prévient que « les démocrates ont toujours été les cocus de l’histoire ».
Avant l’ouverture du débat, déjà, la tension était montée. Vendredi soir, le Réseau Wassila, qui regroupe des organisations pour les droits des femmes, annonçait son retrait de la Conférence, car celle-ci « ne pose pas clairement et sans ambiguïté ce principe politique fondamental et non négociable » de l’égalité entre hommes et femmes. Le texte adopté par cette Conférence nationale affirme au final que « la réussite de ce processus politique implique la préparation d’un climat général favorable à la pratique des droits, des libertés collectives et individuelles, des droits de l’Homme ». Et cette mention de « libertés individuelles » a dû faire l’objet de négociations.
Nécessité d’une rupture
« Les syndicats sont conservateurs. Ils reflètent la société algérienne. Ils sont issus de la classe moyenne et ils viennent de tout le pays, pas uniquement les grandes villes », explique le sociologue Nacer Djabi. A l’inverse, certaines associations sont de tendance démocrate et laïque. « Sur les principes, nous n’arriverons jamais à nous convaincre les uns les autres, reconnaît Abdelmoumène Khellil, membre du Collectif des jeunes engagés. Mais nous sommes d’accord sur la nécessité d’une rupture. »
Et samedi, d’autres avancées ont aussi eu lieu en direct… Alors que les discussions des dernières semaines n’avaient pu conduire à un consensus pour rendre hommage à Kamel-eddine Fekhar, militant de la région de Ghardaïa, décédé le 28 mai dernier, après une grève de la faim alors qu’il était en détention provisoire, cette fois, un représentant d’un réseau d’associations humanitaires, Tarek Hadjoudj, a saisi le moment. « Il fallait en parler, estime le médecin de 37 ans. Nous travaillons aussi sur le changement de mentalités au sein de la société civile. Le système en place a instillé de la haine entre nous sous prétexte de l’unité nationale. »
Les organisations participantes doivent maintenant discuter des préalables à l’ouverture de discussions avec les autorités. « On a encore du travail, mais on a montré qu’on pouvait continuer ensemble », estime Hakim Addad.
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