Voici un corrigé du deuxième sujet de l’épreuve de philosophie du bac 2019, série L, que Le Monde vous propose en exclusivité, en partenariat avec Annabac.

La question : « A quoi bon expliquer une œuvre d’art ? »

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La problématique du sujet

• Parmi les productions humaines, l’œuvre d’art occupe une place particulière : la définition des beaux-arts entend précisément distinguer les œuvres d’art de tout autre objet artificiel rivé à un usage ou à une utilité. Une peinture, une musique, une danse, viseraient, selon une conception classique de l’art, la beauté ; dans tous les cas, l’œuvre s’offre à nous comme ce qui appelle de notre part un regard dégagé de nos préoccupations ordinaires.

L’artiste ne se distingue pas seulement par son habileté ou la maîtrise de procédés propres à son art : il crée une œuvre qui nous fait entrer dans le monde du sens.

• Mais alors, n’est-il pas à la fois absurde et vain de vouloir expliquer une œuvre d’art, selon une démarche analytique visant à en isoler les causes, les tenants et aboutissants ? La question est pourtant de savoir si cette œuvre s’offre à nous comme une énigme que nous devons accepter en tant que telle. L’œuvre n’est-elle pas avant tout à comprendre, et à interpréter ?

Plan détaillé

1. On cherche à expliquer l’œuvre d’art pour la saisir

A. L’ŒUVRE D’ART SE PRÉSENTE À NOUS DANS SON OPACITÉ

• Contrairement à tout objet d’usage, l’œuvre d’art se présente à nous sans être définie par son utilité, ou son usage : contrairement à un artisan qui produit un objet en fonction de son usage possible, l’artiste crée indépendamment d’une visée utilitaire.

• L’œuvre d’art, par conséquent, se présente à nous libre de toute destination. Sa beauté, dit Kant dans la Critique de la faculté de juger, n’est pas « adhérente », c’est-à-dire évaluée selon le critère lui permettant d’accomplir sa fonction, mais « libre ».

B. Nous nous efforçons de lui trouver des causes

• D’où cette perplexité face à l’œuvre, et notre tendance à vouloir l’expliquer : quelles étaient les intentions de l’artiste ? Que veut-il dire ? Comment a-t-il réalisé cette peinture ?

• C’est alors que nous investissons l’œuvre du regard par lequel nous envisageons le monde utilitaire auquel, précisément, elle entend échapper. L’art contemporain, en coupant court à la question de la réalisation, en apparaissant comme un « jeu d’enfants », entend précisément désamorcer cette approche de l’œuvre.

2. Il est vain de chercher à expliquer une œuvre d’art

A. L’ŒUVRE EST SANS POURQUOI

• C’est que l’œuvre d’art déstabilise à la fois par sa présence immédiate et par son mystère : elle n’est ni usée, ni consommée, et, comme le dit Arendt dans La crise de la culture, mettant en évidence cette spécificité de l’œuvre d’art, elle tient précisément sa valeur du fait qu’elle n’a « aucune fonction dans le processus vital de la société ».

• L’œuvre apparaît alors comme ce qui ne sera jamais expliqué par les conditions qui ont présidé à son apparition, pas plus qu’elle ne peut se réduire au résultat d’un processus technique.

B. IL FAUT RENONCER À L’EXPLIQUER

• Par conséquent, le sens de l’œuvre d’art ne saurait être éclairé par une recherche de ses causes : si l’artiste n’est pas un artisan, c’est précisément parce que son œuvre lui échappe, qu’elle se déploie indépendamment de lui et nous ouvre au sens.

• Guernica n’est donc pas un « message » qui exprimerait les intentions de Picasso, mais bien un monde de significations, et renoncer à attribuer à Guernica la fonction qui l’aurait vu naître (une dénonciation de la guerre) est la condition d’un accès possible à l’œuvre. Guernica, comme toute œuvre, est avant tout, comme le souligne Hegel dans l’Esthétique, une manifestation de l’Esprit dans les choses.

3. L’œuvre d’art est l’objet d’une interprétation

A. L’ŒUVRE D’ART EST À COMPRENDRE

• Mais alors, l’œuvre d’art doit-elle nous apparaître comme une énigme ? En coupant délibérément l’œuvre de son explication possible, en nous déconcertant, l’art contemporain s’isole-t-il de nous ?

• Renoncer à expliquer une œuvre, ce n’est pas renoncer à la comprendre. Si expliquer suppose une démarche analytique (je décompose l’œuvre en ses éléments, j’identifie ses causes, les intentions de l’artiste, ses procédés), comprendre, c’est accéder au sens.

Ce sens est-il donné d’avance ? L’artiste est-il dépositaire du sens de son œuvre ?

B. L’ŒUVRE D’ART EST L’OBJET D’UNE INTERPRÉTATION SANS CESSE RENOUVELÉE

• Si la recherche des intentions, si le discours de l’artiste sur son œuvre peuvent avoir une valeur pour nous, ce n’est pas en tant qu’elle épuiseraient les significations possibles de l’œuvre. Comme le dit Bergson, l’artiste est avant tout un homme qui voit mieux que les autres, qui envisage le réel au-delà de son utilité et au-delà de l’univocité du sens.

• Ainsi, l’œuvre d’art est avant tout ce qui nous amène à voir ou à reconnaître ce que nous ne voyions pas : « devant un Turner ou un Corot, dit-il, nous trouvons que si nous les acceptons et les admirons, c’est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu’ils nous montrent. » Si elle nous invite à voir l’invisible, elle ne se referme donc pas sur la seule vision de l’artiste, mais s’offre à nous comme cet objet inexplicable qui fait échec à notre souci d’explication en nous ouvrant à un monde de significations possibles.

Conclusion

En définitive, si nous avons tendance à vouloir isoler les causes ou les buts des œuvres d’art, c’est bien parce que nous sommes alors victimes de notre rapport ordinaire au réel : il est non seulement vain mais absurde d’expliquer l’œuvre, et c’est bien là sa spécificité. L’œuvre d’art est alors cet objet sans pourquoi que nous n’aurons jamais fini d’interpréter.

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