A Wall Street, le 16 septembre 2008. / GEOFF CADDICK / AFP

Et il y a des nuages à l’horizon », annonce, plutôt inquiet, Maurice Obstfeld, le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) et professeur d’économie à l’université de Berkeley dans le dernier bulletin sur la croissance mondiale, rendu public début octobre. Alors que plusieurs observateurs du monde ­économique alertent sur les signes avant-coureurs d’une nouvelle crise financière – chute des monnaies dans les pays émergents, fuite des capitaux des résidents, bulles spéculatives –, les regards se braquent naturellement à nouveau vers l’enseignement de la finance dans les écoles.

Michel-Henry Bouchet fait partie de ceux qui jugent que « c’est dans les programmes des universités et des grandes écoles de commerce » qu’il faut chercher l’une des clés de ce qui s’est passé il y a dix ans. Selon ce professeur de finance à Skema Business School, le poids de la « modélisation mathématique a été bien trop important et a minimisé l’apprentissage des risques-pays, des questions de ­régulation ou de volatilité des marchés ».

« Ces modèles étaient hors-sol, comme une sorte de fuite en avant dans la technicité »,
Sylvain Marsat, professeur de finance

Cette position illustre les débats qui ont agité la sphère de l’enseignement en économie et en finance après la crise de 2008. Deux principales critiques ont été adressées aux formations financières. D’une part, les enseignements dits « quantitativistes », principalement dispensés dans les écoles d’ingénieurs, étaient accusés d’avoir été trop « déconnectés » de l’économie réelle. Sylvain Marsat, professeur de finance à l’université de Clermont, rappelle que la plupart des modèles mathématiques de pricing (fixation des prix), parmi lesquels le ­célèbre modèle « Black-Scholes », sont d’abord des modèles de physique : « On ne peut pas ­appliquer les principes de thermodynamique à une discipline comme la finance qui évolue sans cesse dans le monde social. Ces modèles théoriques étaient hors-sol, comme une sorte de fuite en avant dans la technicité. »

L’autre grand reproche adressé aux établissements d’enseignement supérieur était le manque d’interdisciplinarité. La finance ­paraissait isolée des enjeux sociaux, politiques et macroéconomiques. Pour Michel-Henry Bouchet, l’enseignement de la finance doit être indissociable des enjeux de la globalisation des marchés, de l’histoire des crises et des bulles financières, des principes de philosophie politique et des risques-pays (contexte économique et politique d’un Etat).« Notre objectif est que nos étudiants ne découvrent pas une crise en lisant les journaux », explique ce coauteur du livre Managing Country Risk in an Age of Globalization (« Gérer le risque-pays à l’ère de la mondialisation », Editions Palgrave-MacMillan, 2018, non traduit).

Bonnes résolutions

Guillaume Sarrat de Tramezaigues, directeur du département économie et ancien directeur du master finance et stratégie de Sciences Po, observe que, « depuis la crise, il y a eu une logique de repositionnement de ­toutes les grandes écoles. Les questions de ­réglementation, de régulation, et de responsabilité sociale des entreprises sont au cœur de toutes les maquettes pédagogiques. Ce n’est plus un élément de distinction entre écoles, c’est devenu “mainstream” ».

La majorité des grandes écoles de commerce affichent désormais leurs bonnes ­résolutions. HEC, qui compte parmi son corps professoral en finance un ancien de ­Lehman Brothers, a imposé un cours obligatoire de régulation. « Nous avons toujours eu des cours conceptuels enseignés par des chercheurs pour apprendre aux étudiants à prendre du recul par rapport aux modèles utilisés par des praticiens à l’instant T. Dans les années qui ont suivi la crise, nous avons ainsi introduit des cours de stratégie, de macroéconomie et de finance comportementale dans notre portefeuille de cours », détaille Jacques Olivier, doyen de la faculté finance à HEC.

Quant à l’Ecole polytechnique, régulièrement accusée d’avoir formé les architectes de la crise de 2008, les mathématiques y restent la marque de fabrique. « Je ne rejette pas les mathématiques financières, elles sont opérantes la plupart du temps. Ce qui m’intéresse en cours d’économie, c’est de montrer à mes étudiants ce qui se passe quand les marchés ne fonctionnent plus et qu’il y a des phénomènes de panique », développe Philippe Tibi, professeur d’économie à l’X. Selon lui, un haut ­niveau en maths reste un préalable pour être un bon professionnel, « mais il faut être capable de sortir des modèles et de prendre du recul quand la théorie ne fonctionne pas ».

Depuis 2008, l’enseignement de la finance a été repensé, décloisonné. Même dans les formations les plus quantitatives comme celle créée par Nicole El Karoui, responsable du master probabilités et finances à Sorbonne Université et à Polytechnique, et qui a irrigué la City et Wall Street de « quants », ces analystes quantitatifs. « A l’université, les professeurs d’économie ont enseigné plus de cours sur les cycles économiques. Dans les écoles de commerce, des cours sur la régulation, sur les investissements socialement responsables ont été intégrés. Des sociologues ont été recrutés », explique Yamina Tadjeddine Fourneyron, coauteure de The Making of Finance (éditions Routledge, 2018, non traduit).

Cette professeure d’économieà l’université de Lorraine a récemment réalisé un questionnaire en ligne sur l’enseignement de la finance : le cadre théorique – théorie classique de l’efficience et de la rationalité des marchés – est « resté exactement le même », déplore-t-elle. Dix ans après la faillite de Lehman Brothers, il n’y a pas eu de « révolution » dans les programmes, admettent les enseignants interrogés par Le Monde. Comme le relève Sylvain Marsat, « finance et révolution sont deux mots qui ne se marient pas bien ».

Des suppléments et un salon du « Monde », les 10 et 11 novembre, pour choisir sa grande école

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures. Il sera précédé de la publication de nos suppléments dédiés aux écoles d’ingénieurs (dans Le Monde daté du mercredi 7 novembre et en ligne en suivant ce lien ) et aux écoles de commerce (dans Le Monde daté du jeudi 8 novembre et sur Le Monde.fr Campus ici).

Plus de cent cinquante écoles de commerce et d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées, prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac +2, +3 ou +4). Lycéens, étudiants et parents pourront assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » sera à leur disposition pour les conseiller, les aider à définir leur projet d’orientation, préparer les concours, rédiger leur CV...

L’entrée du SaGE est gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.