« Le vieillissement de la population va encourager l’automatisation des emplois »
« Le vieillissement de la population va encourager l’automatisation des emplois »
Propos recueillis par Marie Charrel (Sintra, Portugal, envoyée spéciale)
Les changements démographiques sur le Vieux Continent vont transformer les habitudes de consommation et d’épargne. Avec des effets, notamment sur l’inflation, plus imprévisibles qu’on ne le pense, explique Axel Börsch-Supan, directeur du centre de Munich sur l’économie du vieillissement.
Un robot pizzaiolo prépare une pizza, au showroom de la start-up française Ekim, à Montévrain (Seine-et-Marne), en juin 2018. / Philippe Wojazer / REUTERS
Axel Börsch-Supan est directeur du centre de Munich sur l’économie du vieillissement (Munich Center for the Economics of Aging). Lors du forum de la Banque centrale européenne, tenu à Sintra (Portugal) du 17 au 19 juin, il a présenté les derniers travaux de son équipe à propos des mutations démographiques sur le point de bouleverser l’Europe.
Quels sont les pays européens les plus confrontés au vieillissement de la population ?
Ils vont tous devoir y faire face, mais de façon inégale, et selon un calendrier différent. Le vieillissement est aujourd’hui plus prononcé en Allemagne et en Italie qu’en France, où la natalité est plus élevée, ou en Suède. En outre, le baby-boom d’après-guerre n’a pas eu lieu exactement au même moment selon les pays. Les conséquences en termes budgétaires ne seront donc pas les mêmes.
Comment les Etats pourront-ils financer la hausse des dépenses de santé et de retraite ?
Observons que, jusqu’ici, l’Europe a mieux su garder sous contrôle l’augmentation des dépenses (publiques et privées) de santé. Mais la question est brûlante partout ! SI l’on parle du financement des retraites, la grande erreur est de faire sortir les salariés du marché du travail trop tôt, comme le fait, par exemple, la France. Ce n’est pas soutenable financièrement.
Si l’on schématise, l’équation est simple : les Européens doivent environ travailler quarante ans pour financer vingt ans de retraite, et ils gagnent environ deux ans d’espérance de vie tous les dix ans. Travailler un peu plus longtemps pour financer une retraite plus longue est donc le seul choix rationnel à suivre pour que le système puisse tenir. Et cela peut se faire intelligemment, avec nuance, en modulant la durée légale selon la pénibilité des emplois. Le modèle suédois des « comptes notionnels » est, à cet égard, un exemple à suivre : ceux qui souhaitent partir plus tôt le peuvent, mais ils toucheront une pension moindre. Malheureusement, les discussions politiques sur le sujet sont souvent bien trop émotionnelles.
Comment la consommation évoluera-t-elle ?
Toute la difficulté est qu’à âge équivalent, les comportements des consommateurs sont parfois très différents selon les générations. Cela complique les prévisions, en particulier en matière d’épargne, qui est le sujet-clé lorsque l’on parle du vieillissement. Aujourd’hui, les jeunes arrivent ainsi plus tard que leurs parents sur le marché du travail, ils épargnent moins et investissent plus tard dans l’immobilier, quand ils le peuvent. Concernant l’immobilier, le tableau est également contrasté selon les Etats et les régions. Prenons l’Allemagne : les prix de logements continuent de croître dans les grandes villes, mais ils sont très bas dans les campagnes dépeuplées et vieillissantes de l’Est.
Le déclin à venir de la population active va-t-il accélérer la robotisation des emplois ?
Le vieillissement va d’abord se traduire par une hausse des salaires des plus jeunes, en particulier les plus qualifiés, qui deviendront une denrée rare. Il encouragera également les entreprises à investir dans l’automatisation des postes, pour faire face au manque de main-d’œuvre.
Avec des salariés plus vieux, les entreprises seront-elles moins innovantes ?
Pas forcément. Il faut d’abord souligner que, dans les secteurs industriels, notamment, la productivité varie peu selon l’âge : les jeunes sont peut-être plus rapides, mais les séniors sont tout aussi efficaces, grâce à leur expérience.
En outre, les grandes innovations de rupture viennent rarement des salariés eux-mêmes – même s’ils ont souvent des idées pour améliorer les processus de production –, mais plutôt, de la recherche, par exemple. La véritable question est alors la commercialisation de ces innovations, la création d’entreprises et de start-up pour les mettre sur le marché. C’est plutôt sur cette deuxième phase que le vieillissement de la population active peut avoir un effet limitant.
Un électorat plus âgé va-t-il favoriser des politiques publiques plus conservatrices, favorisant la rente ?
Pas forcément. Beaucoup de séniors ont des petits enfants et pensent à leur avenir au moment du vote, bien plus qu’on ne le pense. Cela influence également leur comportement électoral.
Le déclin démographique contribue-t-il au ralentissement de l’inflation ?
Sur le sujet, les effets sont plus contrastés qu’on l’imagine. Quand la population décline, l’effet est clairement celui d’un ralentissement de l’inflation. Mais beaucoup d’Etats n’en sont pas encore là. Pour le moment, la génération du baby-boom, encore active, épargne beaucoup – ce qui est plutôt désinflationniste. Mais, quand ses membres partiront massivement à la retraite, ils dépenseront leur épargne, ce qui sera plutôt inflationniste… Dans tous les cas, l’évolution de l’indice des prix sera déterminante pour la Banque centrale européenne et les politiques monétaires.
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