Corentin Martins, artisan de la participation des Mauritaniens à la CAN 2019
Corentin Martins, artisan de la participation des Mauritaniens à la CAN 2019
Par Pierre Lepidi (envoyé spécial à Suez, Egypte)
Depuis 2014, l’ancien meneur de jeu de l’équipe de France est le sélectionneur de la Mauritanie qui rencontre le Mali lundi 24 juin.
La silhouette est la même, la démarche aussi. D’un pas serein, le corps légèrement penché vers l’avant, Corentin Martins traverse le terrain d’entraînement de Soukhna, commune de la grande banlieue de Suez, où l’équipe de Mauritanie a posé ses valises pour la Coupe d’Afrique des nations. Sans jamais élever la voix, le meneur de jeu de l’équipe de France des années 1990 s’adresse à ses joueurs : « Voilà, on est en Egypte et on attend ça depuis longtemps. On a fait beaucoup d’efforts pour être ici mais ce n’est que le début… Restez solidaires et soyez toujours concentrés sur votre objectif. » C’est la première fois que l’équipe nationale de Mauritanie, surnommée les Mourabitounes en référence aux guerriers almoravides qui ont régné sur le pays au XIe siècle, participe à la plus prestigieuse des compétitions sportives du continent africain. « Même si nous sommes dans une poule compliquée, l’objectif est de passer le premier tour », prévient le sélectionneur. Avant d’affronter l’Angola puis la Tunisie, les Mauritaniens vont rencontrer le Mali, lundi 24 mai à Suez. Avec ses joueurs techniques et très puissants, l’adversaire a de quoi faire peur.
Un mélange de rigueur et de sérénité
Corentin Martins, âgé de 49 ans, est le principal artisan de la qualification des Mourabitounes à la CAN. En prenant les rênes de l’équipe à l’automne 2014, « Coach Coco », comme tout le monde l’appelle, a façonné l’équipe à son style, un mélange de rigueur et de calme. Jusque-là, le foot mauritanien n’avait connu qu’une litanie d’échecs. Des capitales africaines aux salons feutrés de la FIFA, on aimait plaisanter sur son manque d’organisation ou pointer du doigt ses « frais de fonctionnement » exorbitants.
« Le coach a apporté cette sérénité qui faisait défaut à notre équipe nationale, assure Cheikhani Maouloud, manager général. Avant, il fallait improviser, régler les problèmes dans l’urgence. Aujourd’hui, on anticipe au maximum et on y gagne en énergie. Corentin a aussi apporté un savoir faire et il est respecté pour son parcours d’ancien joueur. » Milieu de terrain notamment de Brest et de l’AJ Auxerre, club avec lequel il a été l’auteur du célèbre doublé coupe-championnat en 1996, Corentin Martins (1,70 m) aimait se faufiler entre les compas des grands échalas grâce à sa pointe de vitesse. La précision de ses passes et quelques buts de génie – dont un retourné dos au but dans la surface des Girondins de Bordeaux – lui ont permis de laisser son empreinte dans le championnat de France des années 1990. A 14 reprises, il a aussi porté le numéro 10 des Bleus avant qu’un certain Zinedine Zidane ne s’impose à son poste à partir de 1996.
Après un passage à La Corogne (Liga espagnole), à Strasbourg et une fin de carrière discrète à Clermont Foot en 2005, Corentin Martins s’installe à Quimper où il travaille dans une entreprise de cuisines et cheminées dans laquelle il a investi. Trois ans plus tard, le président du Stade Brestois lui propose un poste de directeur sportif puis d’entraîneur. Par intermittence, il va rester dans sa ville natale jusqu’en 2013.
Corentin Martins ignore quasiment tout de la Mauritanie lorsqu’il reçoit un appel de Nouakchott : « Je ne connaissais de ce pays que les images vues pendant le Paris-Dakar et deux joueurs mauritaniens que j’avais appréciés à Brest : Adama Ba et Dialo Guedileye. Je me suis documenté avant de me rendre à mon entretien. », raconte-t-il.
« Il ne connaissait pas l’Afrique »
Ahmed Yahya, président de la Fédération de Football de la République Islamique de Mauritanie (FFRIM), se souvient parfaitement de cette période où il cherchait un sélectionneur pour son pays. « J’ai reçu près de 80 candidatures, indique celui qui a été élu meilleur dirigeant africain par la Confédération africaine de football en 2017. Certains avaient déjà gagné la CAN mais ils n’avaient rien obtenu après leur titre et ne se remettaient pas en question après leur traversée du désert. D’autres voulaient me faire croire qu’ils allaient révolutionner le foot en Mauritanie. A les écouter, on allait bientôt gagner la Coupe du monde ! »
Corentin Martins a été choisi en partie pour son humilité et sa discrétion, qu’il ne faut pas confondre avec de la timidité. « Lors de notre entrevue, son discours m’a semblé honnête, ambitieux mais réaliste, se rappelle Ahmed Yahya. Le fait qu’il ne connaisse pas l’Afrique n’a pas été un handicap. C’était même peut-être un avantage par rapport à certains qui, à force de rouler leur bosse, ont fini par prendre certaines mauvaises habitudes du continent. »
Avec pragmatisme, Corentin Martins, dont le contrat a été renouvelé à deux reprises, a structuré l’équipe. « Sur le plan tactique, il nous a tout appris, assure Moustapha Sall, sélectionneur adjoint. Avant, on poussait le ballon, sans aucun schéma de jeu. » En imposant quelques règles simples de courtoisie (respect des horaires, salutations individuelles chaque matin, poignée de main avec le staff après chaque entraînement, suppression des téléphones pendant les repas…), Corentin Martins a apporté de la sérénité et finalement de la confiance à son équipe. « Il nous responsabilise, se félicite Abdoul Ba, capitaine des Mourabitounes. A l’inverse d’autres sélections, il n’y a aucun système d’amendes à payer si on est en retard aux entraînements ou aux briefings. Du coup, on s’impose d’être à l’heure pour ne pas décevoir le coach et son staff. On nous fait confiance et on a envie d’en être digne. On respecte aussi Corentin parce qu’il est disponible quand on le sollicite. » Dans l’équipe de Mauritanie, le silence se fait spontanément à chaque fois que le coach prend la parole. Rien ne sert de crier pour être écouté.