Coupe du monde de foot féminine : les Européennes liguées contre les Etats-Unis
Coupe du monde de foot féminine : les Européennes liguées contre les Etats-Unis
Par Lætitia Béraud
Pour la première fois depuis la création du Mondial féminin en 1991, aucune équipe asiatique ne fait partie des quarts-de-finaliste, qui ne comprennent que des nations européennes et les tenantes du titre, les Etats-Unis.
Les Néerlandaises fêtent le deuxième but de Lieke Martens dans les arrêts de jeu face au Japon qui envoie les Pays-Bas en quarts de finale, une septième nation européenne dans les huit meilleures de cette Coupe du monde féminine. / DAVID VINCENT / AP
Comme un symbole. Le Japon, vice-champion du monde en titre, est tombé, mardi 25 juin, en huitièmes de finale (2-1) face aux championnes d’Europe néerlandaises. Le Vieux Continent a pratiquement fait carton plein dans cette Coupe du monde avec sept équipes qualifiées en quarts de finale sur huit possibles. Seules les tenantes du titre et favorites américaines ont résisté, en écartant la vaillante Espagne (2-1).
Une telle présence des nations européenne à ce stade de la compétition est une première. On avait compté au mieux cinq équipes du Vieux Continent sur huit encore en lice dans les éditions précédentes : c’était lors du premier Mondial féminin, en 1991, puis en 1995.
Cette année, les chances européennes pour contrer les Américaines, sacrées trois fois déjà, résident dans les Norvégiennes, championnes du monde en 1995, les Allemandes, titrées en 2003 et 2007, les Suédoises, habituées du dernier carré, les Anglaises et les Françaises en pleine progression, et les surprenantes Italiennes et Néerlandaises.
Les pays à ligues imposent leur loi
Une des explications possibles de ce succès européen est la compétitivité grandissante des ligues féminines de football dans ces nations. « Les pays qui n’ont pas de ligue féminine vont avoir du mal à avancer. Gros avantage pour les autres où les adolescentes talentueuses jouent avec les adultes qui ont aussi l’opportunité de se développer en tant qu’athlète », analysait dans un tweet dès lundi Ciara McCormack, une ancienne internationale irlandaise, qui s’est formée au Canada puis en Norvège.
Jusqu’à récemment, seuls l’Allemagne et les pays scandinaves, qui disposent de championnats compétitifs depuis deux décennies, arrivaient à rivaliser face aux Américaines physiquement et à percer au niveau mondial.
Il y a dix ans, les championnats scandinaves et allemands dominaient et étaient les seuls à arriver à attirer des stars internationales, comme la Brésilienne Marta à l’Umea IK, en Suède, où elle a remporté la Ligue des champions en 2004. Les clubs de ces pays triomphaient dans la prestigieuse compétition dans la première décennie du XXIe siècle, avec l’exception du sacre d’Arsenal LFC en 2007.
Mais ces dernières années, d’autres ligues européennes se sont structurées. La professionnalisation a permis de meilleures conditions d’entraînement. « La France et maintenant l’Angleterre ont investi fortement. Les deux pays ont établi des ligues qui attirent des joueuses internationales de haut niveau, donc ils ne développent pas que leur jeu mais ils reçoivent des joueuses du monde entier », confiait la sélectionneuse américaine, Jill Ellis, au printemps, alors que les Américaines avaient été accrochées par deux nations européennes en match amical : une défaite 3-1 face aux Bleues, et un match nul 2-2 contre les Anglaises. Un fait assez rare pour être noté.
Les Lyonnaises doivent leurs titres de championnes d’Europe à la professionnalisation de leur équipe qui attire des talents allemands, norvégiens, anglais, japonais et néerlandais. Elles ont remporté leur sixième Ligue des champions le 18 mai. / LISI NIESNER / REUTERS
L’Europe : le nouveau modèle ?
On ne cite plus le succès du championnat français, notamment poussé vers le haut par l’Olympique lyonnais, vainqueur de la Ligue des champions six fois depuis 2011 et qui attire des talents internationaux. Alors que traditionnellement les joueuses européennes allaient se former aux Etats-Unis dans le système universitaire très compétitif, comme les Françaises Laura Georges ou Camille Abily, plusieurs Américaines ont fait le chemin inverse ces dernières années.
Les attaquantes Megan Rapinoe et Alex Morgan ont fait un passage à l’OL en 2013 pour l’une, 2017 pour l’autre. Et pour se former, Lindsey Horan a abandonné le traditionnel parcours universitaire américain pour faire ses armes au Paris-Saint-Germain de 2012 à 2016 avant de retourner jouer à Portland, Etats-Unis, dans la ligue professionnelle.
De l’autre côté, les pays sans ligue ou au championnat balbutiant n’ont pas laissé leur marque dans cette Coupe du monde. Le Canada, qui n’a pas de franchise dans la ligue américaine, a été éliminé par la Suède (1-0). La Chine, dont le niveau du championnat est bien inférieur à ceux européens, a buté sur des Italiennes réalistes (2-0). Le niveau n’était pas suffisant non plus pour les Japonaises, qui évoluent toutes dans un championnat fermé au pays du Soleil-Levant, à l’exception de la capitaine, Saki Kumagai, à l’OL. Quand au continent africain, les Nigérianes et les Camerounaises étaient trop en dessous physiquement pour rivaliser face à l’Allemagne (3-0) et l’Angleterre (3-0).
Les Japonaises, championnes du monde en 2011, vice-championnes du monde en 2015, en fin de cycle, ont été éliminées par les championnes d’Europe néerlandaises, le 25 juin, en huitièmes de finale de Coupe du monde. / FRANÇOIS MORI / AP
D’autres nations avec des championnats qui ont du mal à garder les meilleures joueuses sur leur sol n’ont pas trouvé leur rythme et ont aussi été éliminées, comme l’Australie, pourtant présente en quarts de finale depuis 2007, éliminée aux tirs au but par la Norvège (1-1).
Le problème avait été identifié par le coach brésilien, Vadao, qui devait jongler avec les emplois du temps de 16 joueuses évoluant dans divers championnats étrangers pendant la préparation à la Coupe du monde. Le Brésil s’est avancé diminué avec des blessures en cascade et des stars à bout de souffle cette année avant de s’incliner face aux Bleues (2-1, après prolongations).
Embouteillage pour la qualification aux Jeux de Tokyo
Quelques exceptions viennent confirmer la règle. L’Espagne, avec un championnat en fort développement ces dernières années, est éliminée. Mais la Roja n’a pas à rougir de sa prestation face aux Américaines. Les Espagnoles sont les premières à avoir autant fait déjouer les favorites (2-1), en huitièmes de finale. Et l’Italie, dont le championnat vient de passer sous la gouvernance de la fédération, est qualifiée en quarts de finale alors que le défi physique semblait prédire une élimination précoce.
« Si les clubs européens dominants prêtent autant attention au football pratiqué par les femmes que celui des hommes, alors cela deviendra un énorme business en Europe, et cela minera complètement la domination des Etats-Unis », analyse Stefan Szymanski, auteur de Soccernomics (Bold Type Books, 2014), un livre qui analyse les succès sportifs à travers le prisme de l’économie. « C’est ce qui est en train de se passer », prévient-il. Suffisant pour stopper les Américaines dès cette année ? Pas sûr. C’est tout l’enjeu de ce Mondial pour les observateurs.
Revers de la médaille, cette montée en puissance signifie aussi une qualification pour les Jeux olympiques de plus en plus serrée pour les habituées européennes. La Coupe du monde féminine sert de sélection pour la zone. Seules les trois meilleures nations du continent participeront aux Jeux de Tokyo, en 2020, et retrouveront le Brésil, la Nouvelle-Zélande et le Japon, déjà qualifiés pour le tournoi.
Coupe du monde 2019 : pourquoi les Américaines sont si fortes
Durée : 05:26
Les quarts-de-finaliste en Coupe du monde féminine
2019 : 7 nations européennes
Norvège, Angleterre, France, Italie, Pays-Bas, Allemagne, Suède, Etats-Unis
2015 : 3 nations européennes
Allemagne, France, Angleterre, Chine, Etats-Unis, Australie, Japon, Canada
2011 : 4 nations européennes
Allemagne, Angleterre, France, Suède, Japon, Australie, Brésil, Etats-Unis
2007 : 3 nations européennes
Allemagne, Angleterre, Norvège, Corée du Nord, Etats-Unis, Chine, Brésil, Australie
2003 : 4 nations européennes
Norvège, Suède, Allemagne, Russie, Etats-Unis, Brésil, Chine, Canada
1999 : 4 nations européennes
Russie, Norvège, Allemagne, Suède, Chine, Etats-Unis, Brésil, Nigeria
1995 : 5 nations européennes
Allemagne, Angleterre, Suède, Norvège, Danemark, Chine, Etats-Unis, Japon
1991 : 5 nations européennes
Danemark, Allemagne, Suède, Norvège, Italie, Chine, Etats-Unis, Taïwan