Migrants : les leçons de la capitaine du « Sea-Watch 3 » à l’Europe
Migrants : les leçons de la capitaine du « Sea-Watch 3 » à l’Europe
Editorial. En bravant le blocus imposé par l’Italie pour mettre en lieu sûr les 42 personnes dont elle avait la charge dans son navire, l’Allemande Carola Rackete a rappel combien le sauvetage en mer est un impératif qui doit s’imposer à tous, et non une activité suspecte.
Editorial du « Monde ». Il aura donc fallu deux semaines pour que les naufragés secourus dans les eaux internationales par le Sea-Watch 3, le 12 juin, puissent enfin arriver, mercredi 26 juin, aux abords de l’île de Lampedusa. Deux semaines et la volonté d’une femme, l’Allemande Carola Rackete, capitaine du navire, qui a décidé de forcer le destin et de braver les interdictions du gouvernement italien pour mettre en lieu sûr les 42 personnes dont elle avait la charge.
En faisant ce choix après en avoir appelé en vain à la Cour européenne des droits de l’homme, la capitaine du Sea-Watch 3 met l’Europe entière face à ses années de reculades et de tergiversations. Et, en refusant de se conformer à un ordre n’ayant que les apparences de la légalité – ramener sur les côtes libyennes les naufragés secourus par le Sea Watch 3 –, Mme Rackete a rappelé à tous l’existence de conventions internationales et un certain nombre de vérités.
Oui, le sauvetage en mer est un impératif qui doit s’imposer à tous, et non pas une activité suspecte, faisant des volontaires des ONG les auxiliaires – conscients ou non – des trafiquants d’êtres humains. Aucune ONG attaquée depuis 2017 n’a fait l’objet de la moindre condamnation judiciaire. Mieux encore, la justice italienne n’est pas parvenue à monter le moindre procès. Pourtant, la calomnie s’est imposée dans de larges franges de l’opinion publique et dans toute l’Europe.
Calculs politiques
Non, la Libye n’est pas un « port sûr », au sens où l’entendent les textes régissant le droit international de la mer, et des migrants cherchant à fuir cet enfer ne sauraient y être ramenés contre leur gré pour des raisons de convenance politique. Pourtant, cette évidence reconnue par la communauté internationale n’a pas empêché l’Union européenne de nouer avec Tripoli, à partir de 2017, des accords de rapatriement qui contreviennent aux valeurs que l’Europe prétend défendre partout dans le monde.
En revendiquant les résultats d’une politique mise en place par ses prédécesseurs, Matteo Salvini est devenu l’homme politique le plus populaire d’Italie et le véritable chef du gouvernement Conte. Il continue à accuser l’Europe d’inertie, et le silence des instances européennes et des partenaires de l’Italie, depuis des mois, l’aide à installer cette idée. Ce discours est d’autant plus efficace que personne en Europe n’a le courage de s’emparer du thème de l’immigration pour formuler une alternative crédible et mettre le ministre de l’intérieur italien face à l’incohérence de ses positions.
L’Italie, selon M. Salvini, souhaite un mécanisme de relocalisation automatique des demandeurs d’asile. Alors pourquoi s’allie-t-elle avec les pays du groupe de Visegrad, viscéralement hostiles à cette solution, tout en dénonçant les puissances d’Europe occidentale favorables à une telle mesure ? De même, selon lui, la voix de l’Italie n’est jamais écoutée. Alors pourquoi M. Salvini n’a-t-il pas jugé utile d’être présent à six des sept réunions des ministres de l’intérieur qui ont eu lieu depuis sa nomination, en juin 2018 ?
Face à ces calculs politiques, le geste de Mme Rackete met en lumière une autre évidence, dont la portée va bien au-delà de l’Italie : un ensemble de plus de 500 millions de citoyens, vivant dans une zone de prospérité sans équivalent dans le monde, ne peut pas se sentir menacé par l’arrivée d’une quarantaine de réfugiés ayant fui un pays en guerre à bord d’un bateau pneumatique.