LA LISTE DE LA MATINALE

Alors que la folie festivalière va s’emparer de tous les territoires, cette première liste du mois de juillet revient sur quelques albums particulièrement appréciés des critiques de la rubrique musiques ces dernières semaines.

« Dreems », de Cassius

Pochette de l’album « Dreems », de Cassius. / CAROLINE INTERNATIONAL

Sorti vendredi 21 juin, Dreems, cinquième album du duo Cassius, avait tout pour illuminer notre été. Mais ce disque tout en rayonnante sensualité s’est soudain drapé de noir, endeuillé par la mort de Philippe « Zdar » Cerboneschi, après une chute accidentelle, le 19 juin, du balcon de son appartement parisien.

Comme pour retrouver en studio la spontanéité et l’agilité ludique de leurs sets de DJ, Zdar et son vieux complice, Hubert « Boom Bass » avaient choisi d’enchaîner les titres comme pour un mix dans un club.

De nombreux invités s’amusent sur les pistes de danse. A l’instar de John Gourley, chanteur du groupe américain Portugal The Man, dont les gimmicks vocaux s’adaptent à l’ambiance funky d’un Nothing About You sous grande influence Prince, ou du Beastie Boy Mike D, dont le phrasé de garnement fait merveille dans un Cause Oui très new-yorkais.

Cause oui!
Durée : 02:21

La moiteur de la « grosse pomme » habite aussi un Fame dont la basse noctambule se promène à la rencontre de Bowie et de Grace Jones. Retrouvant l’instinct des as de la house, Cassius fait monter la température avec un Chuffed tout en boucles urbaines. La plage n’est ainsi jamais très loin des platines. Comme le suggèrent les embruns « balearic » de Vedra ou de Summer, avant que la Cannoise anglophone Owlle amplifie le sex-appeal de Don’t Let Me Be ou les rêves plus pop de Dreams et de Walking in the Sunshine, marchant sur les traces des Australiens de Tame Impala. Stéphane Davet

1 CD Caroline International (commercialisé le 21 juin).

« Shepherd in a Sheepskin Vest », de Bill Callahan

Pochette de « Shepherd in a Sheepskin Vest », de Bill Callahan. / DRAG CITY / MODULOR

« Cela faisait bien longtemps. Pourquoi ne rentrerais-tu pas à l’intérieur ? », chante dès la première minute l’Américain Bill Callahan à un vieil ami venu frapper à sa porte après une longue absence. C’est pourtant lui qui nous revient après six années de hiatus.

Désormais quinquagénaire, marié et père de famille, le pilier du rock alternatif qui se faisait autrefois appeler « Smog Brise » propose un double album d’une vingtaine de chansons. Il a troqué son folk-rock réputé rugueux et nihiliste pour un country-folk arrangé, à la plénitude inédite. Les récents événements heureux qui ont changé sa vie ont manifestement eu une forte incidence sur sa musique. Sa voix grave et posée chante les choses ordinaires de la vie, toujours avec une remarquable économie de moyens et de mots. Qu’il évoque l’inspiration (Writing) ou son mariage (Watch Me Get Married), ses douces introspections sont d’une beauté désarmante. Franck Colombani

1 CD Drag City/Modulor (commercialisé le 14 juin).

« Originals », de Prince

Pochette de l’album « Originals », de Prince. / NPG RECORDS / THE PRINCE ESTATE / WARNER MUSIC

Dans le fonds d’archives du chanteur, multi-instrumentiste, auteur-compositeur et producteur Prince, mort le 21 avril 2016, à l’âge de 57 ans, les concepteurs de l’album Originals ont choisi quinze chansons enregistrées par Prince, entre 1981 et 1991, et qui ont ensuite été proposées et enregistrées par d’autres interprètes (dont The Time, Jill Jones, The Bangles – qui feront de Manic Monday un succès –, Sheila E, le chanteur country Kenny Rogers, Martika…).

Prince - Manic Monday (Official Music Video)
Durée : 03:12

Originals, n’est pas un recueil de pistes de travail, mais ce sont bien des morceaux arrangés que l’on découvre ici. Prince chante, joue les parties de guitare, claviers, basse, batterie, fait les chœurs si nécessaire.

Dans certains cas, les pistes instrumentales ont été reprises quasiment à l’identique par les interprètes, ailleurs des orchestrations seront ajoutées. Parfois aussi, le thème princier sert de base et trouvera une version assez différente. A l’ordre chronologique, les producteurs de l’album ont préféré le contraste des approches stylistiques, panorama fidèle des multiples envies musicales qui animaient Prince. Sylvain Siclier

1 CD NPG Records-The Prince Estate/Warner Music (commercialisé en fichier numérique le 7 juin, en CD le 21 juin, édition vinyle prévue le 19 juillet).

« Begin Again », de Fred Hersch et The WDR Big Band

Pochette de l’album « Begin Again », de Fred Hersch et The WDR Big Band. / PALMETTO RECORDS / BERTUS DISTRIBUTION

Pianiste chez qui la manière impressionniste prime souvent, dans les compositions et leur interprétation, le plus souvent dans la forme du solo ou du trio, l’Américain Fred Hersch bénéficie dans l’album Begin Again des arrangements de Vince Mendoza à la tête du WDR Big Band (cinq saxophonistes jouant à l’occasion de la flûte et de la clarinette, quatre trompettistes, autant de trombonistes, un guitariste et le duo rythmique basse et batterie).

De quoi mettre en valeur, avec une attention à ne pas surligner par des effets faciles de brillance, les courbes chantantes, les douceurs romantiques de l’écriture de Hersch.

Au rappel régulier d’une inspiration qui trouve ses sources dans la musique classique européenne du XIXe siècle, il ajoute des citations, discrètes, du jazz afro-cubain (Havana), du blues fondateur (The Big Easy) et quelques envolées au swing détonant (la fin de The Rain Waltz, Forward Motion). Un recueil tout en raffinement et élégance musicale. S. Si.

1 CD Palmetto Records/Bertus Distribution (commercialisé le 7 juin).

« Canty », de Joanne McIver et Christophe Saunière

Pochette de l’album « Canty », de Joanne McIver et Christophe Saunière. / BUDA MUSIQUE / SOCADISC

Originaire de l’île d’Arran, au sud-ouest de l’Ecosse, la chanteuse et musicienne (flûte, cornemuse) Joanne McIver sait ce qu’elle doit à son grand-père qui lui a mis les chansons du temps jadis à l’oreille. Elle ouvre son enchanteur nouvel album Canty en lui rendant hommage (Malcolm).

Viennent ensuite la pathétique histoire d’une femme guettant son amoureux à la fenêtre, qui finalement ne viendra pas (Caite Bheil) ou le poète paysan Robert Burns (1759-1796) qu’elle imagine enfant insomniaque, l’esprit agité de mystères et de fantômes (Wee Rabbie).

Accompagnée à la harpe par Christophe Saunière, parfois rejointe par des cordes, un accordéon, une basse (Alain Genty) et des cuivres qui apportent une touche insolite à cet univers celtique, elle égrène d’une voix claire et limpide, en anglais et en gaélique, des petites histoires, écrites et composées en s’inspirant de ce que lui racontent ses souvenirs d’enfance. Ou ravive des personnages légendaires, tel Rob Roy MacGregor (1671-1734), le « Robin des bois » écossais qui volait du bétail aux riches pour le donner aux pauvres. Patrick Labesse

1 CD Buda Musique/Socadisc (commercialisé le 24 mai).

« IGOR », de Tyler, The Creator

Pochette de l’album « IGOR », de Tyler, The Creator. / COLUMBIA / SONY MUSIC

Chronique d’une histoire d’amour malheureuse semblant s’adresser à un homme l’ayant quitté pour retrouver sa compagne, IGOR, cinquième album solo du rappeur californien Tyler, The Creator gagne en attrait mélodique à mesure qu’il se risque à plus d’introspection.

En confiant sa souffrance, les déchirements d’une passion passant de la déprime à l’hystérie, avant d’hésiter entre mince espoir et renoncement mélancolique, le « créateur » construit un album d’un romantisme accrocheur, sans renoncer à ses audaces.

Car si des balises mélodiques permettent de se repérer dans ce discours d’un cœur brisé, qu’il s’exprime sur un mode lancinant (Igor’s Theme, I Think), pop (Earfquake ou Gone, Gone/Thank You), soul (Puppet), rap old-school (le percutant What’s Good) ou gospel (le slow final de Are We Still Friends ?, partagé avec Pharrell Williams), chaque morceau est habité de bizarreries. Claviers mêlant luxuriance et dissonance, superpositions de beats à la fois minimalistes et complexes, textures sonores aussi moelleuses qu’anxiogènes…

Star de l’industrie hip-hop, Tyler, The Creator préserve son esprit de bricoleur underground, à l’étrangeté régénératrice. S. D.

1 CD Columbia/Sony Music (commercialisé le 17 mai).

« Dogrel », de Fontaines D. C. 

Pochette de l’album « Dogrel », de Fontaines D. C.

Le disque est certes sorti début avril, mais une série de concerts à venir dans les festivals – le 4 juillet aux Eurockéennes de Belfort ; le 20 aux Vieilles Charrues, à Carhaix (Finistère), et le 15 août, à La Route du Rock, à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) – nous donnent l’occasion de redire tout le bien que nous avons pensé de Dogrel, premier album de Fontaines D. C., quintette dont les chansons dessinent les rues, atmosphères et personnages de sa ville de Dublin.

Postillonnés avec la gouaille d’une discussion de pub ou la rudesse d’une bagarre de rue, les irrésistibles Boys in the Better Land, Hurricane Laughter, Too Real, Big ou Liberty Belle brûlent en effet d’une incandescence nourrie d’Irlande, de poésie, de jeunesse rebelle, électrisées par des guitares d’une âpreté et d’une pertinence qu’on n’osait plus attendre d’un disque de rock. S. D.

1 CD Partisan Records/PIAS (commercialisé le 5 avril).

Fontaines D.C. - Too Real
Durée : 04:26