Gay Pride : « Si on voit des logos de grands groupes, c’est qu’il y a en interne des gens pour pousser les dirigeants à le faire »
Gay Pride : « Si on voit des logos de grands groupes, c’est qu’il y a en interne des gens pour pousser les dirigeants à le faire »
Pour le chercheur Konstantinos Eleftheriadis, les critiques d’une commercialisation des « marches des fiertés » ont toujours existé et ne sont pas le signe d’une dépolitisation.
Devant le char de la marque Polaroid, lors de la Pride de New York, le dimanche 30 juin. / John Lamparski / AFP
Polaroid, Smirnoff, Visa, Axa, Morgan Stanley… Sur les chars de la Gay Pride de New York, dimanche 30 juin, les logos des sponsors ont par moment pris autant de place que les traditionnelles banderoles affichant les revendications des manifestants pour la défense des droits des LGBTQI+ (lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queers, intersexes).
Cinquante ans après les émeutes de Stonewall, acte fondateur du combat pour les droits des minorités sexuelles aux Etats-Unis, des critiques ont émergé pour dénoncer la commercialisation du cortège et la disparition progressive de sa part la plus contestataire. Pour Konstantinos Eleftheriadis, enseignant à Sciences Po Paris et chercheur associé au Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS) et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), ces critiques ont existé dès les premières années de la mobilisation et révèlent la structure même de la Gay Pride, espace de mise en lumière des débats entre l’Etat et le grand public, mais aussi à l’intérieur même de la communauté LGBT.
La Gay Pride est-elle une mobilisation fondamentalement politique ?
La Gay Pride est avant tout un événement de l’espace public, qui réunit plusieurs personnes pour rendre visible les LGBTQI+ dans un espace normalement régi par des normes hétérosexuelles. C’est d’abord une contestation de l’occupation des rues, destinée à montrer que d’autres identités existent et peuvent être visibles. Les premières mobilisations surviennent dans les années 1970, aux Etats-Unis puis dans des pays européens, et sont souvent liées à d’autres formes de militantisme : les premières personnes LGBT dans la rue font aussi partie du mouvement féministe, de l’extrême gauche…
Le logo de la marque Smirnoff sur un char de la marche des fiertés à New York, le dimanche 30 juin. / Dave Kotinsky / AFP
Une Gay Pride s’adresse par ailleurs à plusieurs acteurs à la fois : à l’Etat pour adresser des revendications, à la population générale pour gagner sa sympathie, à l’intérieur de la communauté pour la convaincre de l’importance de telles manifestations. Elle permet aussi de politiser de nouvelles questions, et de nouvelles revendications émergent chaque année. Cette année à Paris, c’était sur la PMA par exemple. La discrimination au travail des LGBTQI+, autre question, est apparue assez récemment.
En tant que mode d’action, la Gay Pride ne se distingue-t-elle pas par le mélange des revendications politiques à une ambiance festive, fortement mise en avant ?
Il y a aussi cette ambiance dans d’autres manifestations, ce n’est pas une spécificité de la Gay Pride : c’était déjà le cas lors des rassemblements altermondialistes du début des années 2000 par exemple. La Gay Pride se distingue en fonctionnant comme un grand espace public, comme une arène dans laquelle plusieurs acteurs participent et essayent de mettre en avant leurs propres revendications. C’est pour ça que dans une Gay Pride vous retrouvez aussi bien des chars de la marque Mastercard, du Royaume-Uni venu faire une campagne touristique, que des groupes minorisés, comme les racisés l’année dernière, ou des intersexes et des féministes cette année.
Il y a différentes formes d’identité, de subjectivité et de militantisme dans la Gay Pride. Pour moi, c’est un grand espace public contenant différents contre-publics, différents groupes qui s’organisent à l’intérieur du cortège ; mais il ne faut pas oublier que c’est la Gay Pride même qui donne à ces groupes un espace pour se mobiliser. Ces groupes subordonnés, comme les queers, handicapés, racisés par exemple, essayent de placer les revendications au centre de la manifestation. Cela ne veut pas dire que ça fonctionne toujours, mais il y a quand même des tentatives.
Quand est apparue la critique d’une commercialisation et d’une dépolitisation de la Gay Pride ?
Je me demande si cela n’a pas toujours été le cas, depuis la première édition. J’imagine que même dans les années 1980, certains militants se voyant comme plus radicaux que d’autres critiquaient le fait que ce ne soit pas assez politisé, pas assez radical, voire mainstream.
Il y a aujourd’hui une plus forte participation des grandes entreprises dans la Gay Pride, on ne peut pas le nier. Mais cette participation accompagne aussi l’organisation et le travail de groupes LGBT constitués à l’intérieur de ces grandes entreprises, qui encouragent la participation de celles-ci à la Gay Pride. Ce n’est pas seulement quelque chose d’imposé par le haut, mais aussi un travail qui se fait par le bas : c’est pour ça qu’il ne faut pas voir la Gay Pride comme étant monolithique, et s’en tenir à dire « oui, le mouvement s’est commercialisé ». Il y a beaucoup de sensibilités différentes dans le mouvement, et c’est normal que la question d’une diversité en grand danger à l’intérieur du marché du travail soit présente dans la Gay Pride.
Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité, cette évolution est plus liée à la manière dont le capitalisme se reconfigure et dont on envisage aujourd’hui les ressources humaines, la diversité, la discrimination dans les entreprises. Si on voit des logos de grands groupes, c’est qu’il y a en interne des gens pour pousser les dirigeants à le faire, et ce n’est pas le cas partout. Mais ce sont aussi des entreprises commerciales, s’il y a un marché qui peut être exploité, j’imagine qu’elles vont le faire, comme c’est le cas pour l’écologie, pour les femmes… Cependant, cela ne doit pas nous amener à négliger le travail qui est fait à l’intérieur des marchés professionnels pour améliorer les conditions des travailleurs LGBT.