Loi contre la cyberhaine : la députée Laetitia Avia et Twitter affichent un objectif commun
Loi contre la cyberhaine : la députée Laetitia Avia et Twitter affichent un objectif commun
Par Martin Untersinger, Michaël Szadkowski
L’élue LRM, qui porte la loi contre la cyberhaine débattue à l’Assemblée mercredi, a accordé un entretien au « Monde » en présence d’Audrey Herblin-Stoop, responsable des affaires publiques de Twitter France.
Twitter France et la députée Laetitia Avia ont accordé un entretien commun au Monde, lundi 1er juillet. / QUENTIN HUGON / « LE MONDE »
La loi de lutte contre la cyberhaine, voulue par le gouvernement et portée par la députée LRM Laetitia Avia, est débattue à l’Assemblée à partir du mercredi 3 juillet. L’un de ses principes fondamentaux est de contraindre à la réactivité les principaux réseaux sociaux publics utilisés sur le territoire français. La loi prévoit qu’en cas de signalement par un utilisateur d’un message « manifestement illicite » en raison de son caractère haineux, les plus grosses plates-formes d’expression publique comme Facebook, Twitter ou encore Youtube auront l’obligation de supprimer ledit message dans un délai de 24 heures. Si le message reste en ligne, et sous certaines conditions, les plates-formes concernées risqueront une forte amende.
Les dernières modifications du texte, après son passage en commission des lois à la mi-juin, ont élargi les champs des posts concernés. Le texte était au départ limité aux messages racistes, sexistes et homophobes et l’Assemblée a décidé d’inclure les messages à caractère terroriste, pédopornographique, faisant l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ou encore, faisant preuve de harcèlement sexuel et de proxénétisme.
Ne pas s’opposer frontalement aux plates-formes
De quoi, en principe, donner davantage d’obligations aux réseaux sociaux, si cette loi est adoptée. Pourtant : « nous partageons l’objectif de la loi Avia », a assuré Audrey Herblin-Stoop, directrice des affaires publiques de Twitter France, lors d’un entretien accordé au Monde en la présence de Laetitia Avia, lundi 1er juillet. Il est rarissime qu’un cadre d’une entreprise du numérique et qu’un responsable politique se prêtent à un même entretien, signe que cette loi, malgré les nouvelles obligations strictes qu’elle impose aux plates-formes, ne s’oppose pas frontalement à leur mode de fonctionnement.
« Cela fait dix-huit mois qu’on se parle, nous sommes très souvent à la même table », a précisé Laetitia Avia. « L’objectif n’est pas de faire une proposition de loi contre les plates-formes, mais avec les plates-formes, et pour les internautes » a-t-elle expliqué lors de ce rendez-vous. La députée LRM n’est pourtant généralement pas avare de critiques publiques contre Twitter, à qui elle a déjà reproché publiquement son manque de modération face à des messages problématiques. Le constat est partagé par de nombreux observateurs : fin 2018, Amnesty International tirait encore la sonnette d’alarme en démontrant que Twitter restait un « un espace où le racisme, la misogynie et l’homophobie prospèrent sans entrave ».
Lundi, Laetitia Avia a directement évoqué, en présence d’Audrey Herblin-Stoop, les cas d’insultes racistes qui lui sont adressées, et qui sont parfois restées en ligne selon elle, alors que le racisme est un délit dans la loi française. « C’est la double peine, lorsqu’on reçoit un message qui dit qu’un tweet clairement raciste signalé n’est pas contraire aux conditions d’utilisation de Twitter. J’ai le cuir épais mais je pense à ceux qui sont plus vulnérables », a déploré la députée.
Côté Twitter France, on l’a concédé : des progrès restent à faire. « On partage le constat de la double peine. On va continuer à investir massivement dans la technologie pour soulager les victimes », a réagi Audrey Herblin-Stoop devant Laetitia Avia. Ces « technologies » recouvrent, principalement, les logiciels utilisés par Twitter pour détecter et supprimer automatiquement des messages illégaux, ou contraires aux conditions d’utilisation de la plate-forme. L’amélioration de ses logiciels est régulièrement mise en avant par l’entreprise, dans ses efforts pour rendre la « conversation plus saine ».
« Dialogue permanent »
En l’état, ces évolutions potentielles d’un système de modération automatique de Twitter ne résolvent en rien la situation prévue par la loi Avia : une obligation de retrait sous 24 heures d’un tweet manifestement illicite, qui n’aurait donc pas été supprimé automatiquement. « Je n’ai aucune info sur la façon dont Twitter s’organise, je ne sais pas combien il y a d’opérateurs », a avoué Laetitia Avia, sans qu’Audrey Herblin-Stoop ne réponde devant Le Monde à cette question.
« Mais l’objectif de la proposition de loi est de donner notre niveau d’exigence. On réclame des éléments de transparence sur les moyens humains et techniques », a poursuivi la députée, qui a ensuite donné des exemples de cette « exigence » nouvelle. « L’insulte raciste quotidienne, ce n’est plus possible. (…) Il faut les mêmes résultats sur les contenus haineux que sur les contenus terroristes, car c’est le début de la violence ».
Une ligne que, dans l’esprit, Twitter entend déjà faire respecter. « C’est en phase avec notre objectif, nous voulons que notre plate-forme soit plus sûre », a expliqué Audrey Herblin-Stoop de Twitter France. De fait, les conditions générales d’utilisation de Twitter interdisent déjà la plupart des messages « manifestement illicites » listés dans la loi contre la cyberhaine. Si la loi Avia peut déboucher sur des condamnations de Twitter pour manque de réactivité, elle entérine, également, des conditions générales déjà en vigueur pour les utilisateurs du réseau social.
« A partir de demain, le CSA aura les moyens d’auditer Twitter, tout ça se fera dans un dialogue permanent », a également précisé Laetitia Avia. « Il y aura un interlocuteur référent entre le régulateur et la plate-forme, et des mécanismes de recours quand il y aura une erreur », selon elle.
Twitter s’est dit par ailleurs ouvert à des évolutions, même si Audrey Herblin-Stoop a rappelé que l’entreprise opérait « au niveau global », et ne pouvait adopter son fonctionnement qu’au seul regard de la loi française. Mais « notre bouton de signalement est déjà très visible », a-t-elle démontré en affichant les options d’un tweet sur son application Twitter, ce que Laetitia Avia n’a pas démenti.
« Service civique dédié au contre-discours »
La députée a également confirmé que le champ de la loi ne devait s’appliquer que pour les messages extrêmes accessibles sur le territoire français : Twitter devra, dans ce contexte, avant tout rendre illisible en France, mais pas forcément supprimer, un tweet haineux posté depuis un autre pays. « Les personnes racistes existeront toujours », a assumé la députée : « Ça ne me dérange pas qu’elles soient entre elles dans une salle sombre d’Internet, mais je ne veux plus qu’elles soient exposées sur les principales plates-formes », a-t-elle défendu.
Pour les autres démarches nécessaires pour tenter d’empêcher la prolifération de la haine sur Internet, Laetitia Avia, comme Audrey Herblin-Stoop, renvoient à d’autres acteurs comme la justice, les milieux éducatifs et associatifs. « La loi repose sur un triptyque : la responsabilisation des plates-formes ; des auteurs des messages ; et de la société civile », a expliqué Laetitia Avia. Elle a évoqué un système de « plainte en ligne mis en œuvre début 2020 », la création d’un « parquet spécialisé », ou encore le projet d’« un service civique dédié au contre-discours, avec comme objectif la lutte contre les préjugés et la déconstruction de certains types de messages ». Pour ces projets, « on aura besoin de l’accompagnement des plates-formes », a averti la députée devant la responsable de Twitter France.