L’avis du « Monde » – à voir

« Vous avez votre embargo ? » Au moment d’assister à l’unique projection de presse pour visionner les nouvelles aventures de l’homme-araignée, mercredi 26 juin, à Paris dans une salle des Champs-Elysées, les journalistes devaient signer un papier, s’engageant à ne dévoiler aucun élément crucial du scénario jusqu’au lendemain 15 heures.

C’est qu’il faut ménager le suspense, donner encore envie aux spectateurs d’aller voir un personnage qu’ils connaissent déjà par cœur, entre la bande dessinée d’origine et les diverses adaptations au cinéma.

Steve Ditko et Stan Lee ont créé le personnage de Spider-Man en 1962, imaginant la vie d’un garçon orphelin à l’âge de 6 ans, Peter Parker, confié aux soins de son oncle et de sa tante. Devenu étudiant, il est mordu, lors d’une expérience, par une araignée radioactive, et se retrouve alors doté de super-pouvoirs, d’une agilité hors du commun et d’une sorte de sixième sens l’avertissant des dangers…

Sur le grand écran, le super-héros a muté ces dernières années, depuis le Spider-Man de Sam Raimi (2002), sous les traits d’un adolescent moins musclé et plus hésitant. Les spectateurs s’y sont habitués et ont même applaudi la métamorphose. Reste à trouver une histoire solide à chaque nouvel épisode.

Comment peut-on être aussi peu sûr de soi lorsqu’on s’appelle Spider-Man ? Moins testostéroné, Peter Parker n’en finit pas de tergiverser et de mesurer le gouffre qui le séparerait, selon lui, d’un super-héros. Bien accueillis par la critique, les blockbusters de l’homme-araignée oscillent désormais entre le comic book et le teen movie. « It’s all about a girl », tout cela c’est à cause d’une fille, finit invariablement par lâcher Peter Parker, tiraillé entre son désir pour la belle et super-intelligente Mary Jane, alias « MJ », et son devoir de sauver la planète.

Préoccupé par sa double identité

Après Sam Raimi, qui a signé trois volets (2002, 2004 et 2007), Jon Watts a repris le flambeau, conservant l’esprit potache et lycéen qui a fait recette et procure une respiration bienvenue, entre deux effets spéciaux : son Spider-Man : Far from Home (2019) comme le précédent Spider-Man : Homecoming (2017) font appel au jeune Tom Holland, lequel avait déjà expérimenté le rôle-titre dans Captain America : Civil War (2016), et plus récemment dans Avengers : Infinity War (2018).

Dans Spider-Man : Far from Home, Peter Parker est toujours aussi préoccupé par sa double identité. A la veille de son départ en voyage scolaire en Europe, le garçon est bien décidé à ne pas glisser son costume rouge et bleu dans sa valise – alors qu’il a été en quelque sorte désigné avant sa mort par Tony Stark, alias Iron Man, pour lui succéder.

Spider-Man se met donc aux abonnés absents, ne répondant pas aux multiples appels du super-héros et allié Nick Fury (Samuel L. Jackson), lequel se prépare à contrer des attaques imminentes. Car le jeune homme, amoureux transi de « MJ », a un autre but en tête : conquérir le cœur de la jeune femme (interprétée par l’actrice, chanteuse et mannequin Zendaya). Pour ce faire, Peter doit mettre en échec son rival, un beau parleur de sa classe.

Mais, à peine arrivé à la première étape du périple en Europe, Spider-Man doit enfiler fissa sa combinaison de combat, alors qu’une phénoménale et démoniaque créature sème la panique au milieu des touristes. Peter Parker fait alors la connaissance, par l’entremise de Nick Fury, d’un super-chevalier venu d’une autre planète, Mysterio (Jake Gyllenhaal), dont on dirait, dans un conte pour enfants, que sa bravoure n’a d’égale que son intelligence. Très vite, le tandem part au front, Peter Parker est ébloui par les exploits de Mysterio au point qu’il doute encore plus de sa capacité à tenir son rôle.

Un adversaire qui utilise les ressorts des « fake news »

Le film entrecroise les gags de lycéens et les combats effroyables contre le monstre de feu. On rit franchement lorsque Peter Parker, doté d’un joujou technologique dernier cri, des lunettes connectées qui lui donnent des pouvoirs exorbitants, mais aussi un accès à tous les fichiers, y compris les messageries de ses camarades, se met à échafauder un plan mortel contre le garçon qui drague « MJ ».

Si la part de comédie de Spider-Man : Far from Home est plutôt réussie, le volet super-héros est rendu confus par l’irruption de cette menace étrangère dont les contours nous sont résumés en quelques phrases expéditives – un petit air de James Bond, qui nous rappelle souvent que l’important n’est pas tant le scénario que les cascades à venir.

Sans dévoiler l’histoire, disons que Spider-Man va se trouver confronté à un adversaire qui utilise les ressorts de la fausse information (« fake news ») pour mieux le tromper. Un agent maléfique se cache dans l’histoire : il sème le désastre pour ensuite apparaître comme le sauveur. Au pays de Donald Trump, l’idée est fort habile, mais elle finit par tourner en rond et surtout apporte une touche anxiogène au film.

Le sentiment d’impuissance guette en effet le spectateur : on le sait bien aujourd’hui, une fois l’intox répandue, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rétablir la vérité. Il faut attendre la toute fin du générique et ses « bonus » pour en savoir davantage. En plus de l’embargo, la presse était donc priée de laisser les téléphones portables éteints jusqu’à la toute dernière image.

« Spider-Man : Far from Home », film américain de Jon Watts. Avec Tom Holland, Jake Gyllenhaal, Zendaya (2 h 10 min).