Japan Expo : comment le salon est devenu en vingt ans l’un des plus imposants de France
Japan Expo : comment le salon est devenu en vingt ans l’un des plus imposants de France
Par Pauline Croquet
Passé de petite convention étudiante de 3 000 visiteurs à grande célébration de la pop culture japonaise en France, l’événement attire désormais 240 000 festivaliers.
Edition 2017 de Japan Expo au Parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis). / BERTRAND GUAY / AFP
Il est loin le temps où les premiers festivaliers arpentaient la cour de l’Epita, école d’ingénieurs du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) pour une kermesse estudiantine.
En vingt ans, Japan Expo, qui se tient du 4 au 7 juillet au Parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis), est devenu le rendez-vous le plus important d’Europe en matière de pop culture japonaise. Aujourd’hui, plus de 240 000 visiteurs bravent la chaleur écrasante dans la bonne humeur pour assister à l’événement, à la croisée de la convention culturelle et de la foire commerciale ; soit 60 000 visiteurs en moyenne par jour. Un chiffre qui n’a pas à rougir face au très plébiscité Salon de l’agriculture, qui a reçu, cette année, 70 000 personnes par jour en moyenne.
De mémoire d’anciens, Japan Expo a toujours attiré du monde. « Au début il s’agissait d’un rendez-vous de passionnés à travers la France qui se connaissaient et discutaient manga, jeux vidéo et animes sur des forums et des tchats IRC. C’était une rare occasion de rencontrer, de se retrouver. Les créateurs viennent de la communauté des fanzines », se remémore Karim Talbi, qui a fait partie un temps de l’équipe d’organisation avant de devenir commissaire d’exposition free-lance pour le salon.
Un succès qui tranche avec les clichés folkloriques
En 2004, « c’était la folie ». Japan Expo, qui avait pris ses quartiers au CNIT près du quartier d’affaires de la Défense, n’était pas en mesure de faire entrer tous les visiteurs. La file d’attente avait atteint rapidement l’arche de la Défense. « C’était absurde, il y avait autant de gens dehors que dedans. C’est probablement la seule fois où ils ont dû refuser l’accès à des gens », ajoute Karim Talbi. C’est aussi à cette époque que commence à péricliter son principal concurrent : le festival Cartoonist.
Japan Expo devient trop gros et trop rentable pour une organisation associative qui se repose sur des centaines de bénévoles. Après une année sans édition, le festival s’agrandit et se délocalise au Parc des expositions de Villepinte en 2006. Et il se professionnalise : l’année suivante, Thomas Sirdey, Jean-François Dufour et Sandrine Dufour, les trois amis à l’origine du salon, s’associent en entreprise, SEFA Event, dont le chiffre d’affaires avoisine aujourd’hui 7 millions d’euros. La société emploie une équipe permanente d’une trentaine de personnes et quelque 300 saisonniers pour l’événement.
L’énorme succès de Japan Expo tranche avec l’image folklorique qui colle parfois à la peau des participants : celle d’otakus déguisés et de fans bruyants d’une culture de niche. « On a réussi à devenir les représentants d’un marché culturel invisibilisé, qui poursuit sa croissance et touche une large frange de la population », se félicite l’un des patrons, Thomas Sirdey.
Si le manga et les animes restent le cœur de la programmation avec l’espace consacré au jeu vidéo, les cofondateurs défendent un élargissement à 360 degrés des animations.
« Il y a eu au fil des années différentes innovations pour amener les gens à rester et casser cette image de centre commercial géant, résume Pascal Lafine, directeur éditorial pour le manga chez Delcourt. Ils ont su s’adapter aux goûts et aux mœurs en organisant des spectacles, des concerts de J-Pop, des démonstrations de culture traditionnelle, des avant-premières de films ou de séries. Mais surtout en devenant la Mecque du cosplay en hébergeant des compétitions européennes. »
« Il y a un côté shopping assumé chez nos visiteurs qui économisent parfois toute l’année pour acheter sur place. En moyenne, ils dépensent 138 euros hors billet d’entrée, expliquent Thomas Sirdey et Jean-François Dufour. Mais Japan Expo est désormais un festival de contenus avec 216 invités, une scène de 500 mètres carrés, des spectacles et aussi un nouvel espace dédié à l’e-sport. Il y a des centaines d’heures de programmation. »
Un thermomètre pour les éditeurs japonais
Désormais, le rassemblement, que d’aucuns estiment très bon enfant, est fréquenté par autant d’hommes que de femmes dont 54 % viennent de province. Une démographie qui concorde avec le profil des Français consommateurs de manga et d’animes.
« Ce qui fait le succès de Japan Expo, c’est que chacun se sent représenté. Le public est une radiographie de la communauté de fans de son époque », analyse Matthieu Pinon, journaliste spécialiste de la pop culture japonaise et auteur d’Histoire(s) du manga moderne (Ynnis).
Cette grand-messe est aussi un rendez-vous incontournable pour les professionnels. A commencer par les éditeurs de mangas et d’animes qui, comme s’il s’agissait de leur rentrée littéraire, lancent de nombreuses nouveautés et multiplient les animations pendant le salon. Quand bien même leur stand leur « coûte un bras ; les frais ne cessent d’augmenter », estiment-ils. « Cela représente environ un tiers de notre budget de communication de l’année », évalue par exemple Arnaud Plumeri, directeur éditorial des mangas Doki-Doki. Un investissement à peine rentabilisé en vente de manga lors du salon en ce qui le concerne, même si les volumes achetés par les lecteurs peuvent être dans l’ensemble colossaux.
« Mais c’est un moment important de rencontre avec nos lecteurs qu’on a rarement l’occasion de croiser, cela permet aussi d’installer notre marque et de fidéliser. C’est aussi l’occasion de rendez-vous professionnels stratégiques. »
Une grande majorité de maisons d’édition et d’ayants droit japonais font d’ailleurs le déplacement à Japan Expo, devenu un thermomètre du marché français, dans un secteur habituellement très insulaire, replié sur lui. « C’est l’occasion de briller et de rebattre les cartes auprès des ayants droit nippons », assure Ahmed Agne, fondateur des éditions Ki-oon.
Esprit « start-up » et mécontentements
Par le biais des éditeurs ou simplement « avec [leur] bâton de pèlerin, [leur] naïveté et l’aide de Français sur place », les époux Dufour et leur acolyte Thomas Sirdey ont, au fil des ans, su convaincre les institutions de l’Archipel mais aussi des superstars de soutenir leur convention. A l’instar de la rockstar Yoshiki ou du père de Goldorak Go Nagai, qui ont accepté de revenir pour l’édition 2019.
Sandrine Dufour, Jean-François Dufour et Thomas Sirdey ont cofondé Japan Expo. / ARCHIVES PERSONNELLES SEFA EVENT
Dans un article de 2006, Le Monde comparaît la communauté de fans de manga et d’animation japonaise avec « la scène rock née dans la foulée du mouvement punk britannique », parce « qu’amateurs et professionnels s’y côtoient et que son développement s’est fait quasiment à l’insu du reste de la société ».
Mais d’après certains critiques de Japan Expo, qui ne s’expriment que sous condition d’anonymat, c’est plutôt les mauvais côtés d’un « esprit start-up » qui peut être reproché aujourd’hui à SEFA Event. Sous des dehors sympathiques et passionnés, la personnalité écrasante des trois fondateurs et une certaine pression dans l’organisation conduiraient à un fort turnover parmi les salariés. A ses 900 exposants, l’entreprise ne ferait aucun cadeau et ne laisserait aucune marge de négociation des tarifs. Pis, pour certains d’éditeurs, ils manqueraient d’égards et de soutien.
« C’est fini le côté bricolage comme il y a pu avoir au début. On a beaucoup évolué, nos attentes ne sont pas les mêmes. De plus nous avons affaire à des interlocuteurs japonais tatillons, ça a pu alourdir la machine », se défend Jean-François Dufour, qui ajoute : « Pour les départs, le taux est toujours plus ou moins resté le même. On embauche souvent des gens qui sortent d’école, dont c’est le premier job. Il n’est pas anormal qu’ils souhaitent au bout de trois, cinq ans se tourner vers autre chose. »
Malgré les mécontentements, Japan Expo semble pour l’heure indétrônable. « Ou alors il faudrait un salon Livre Paris du manga pour le déboulonner, imagine Pascal Lafine, de la maison d’édition Delcourt. Mais tant qu’ils continuent de mettre le visiteur au centre des décisions, cela continuera de marcher. »