Il a réussi à stopper net le compteur. Alors que le nombre de copies du bac non corrigées avait atteint, aux dires des correcteurs grévistes, quelque 126 000 (sur un total de 4 millions), le ministre de l’éducation a trouvé le moyen de le ramener à zéro. « Tous les élèves » auront bien leurs résultats du baccalauréat en temps et en heure – autrement dit, vendredi 5 juillet – a assuré Jean-Michel Blanquer, mercredi soir, sur le plateau de BFM-TV.

Lui qui, le matin même, évoquait le « petit risque » que certains candidats aient à patienter au mieux quelques heures, au pire quelques jours, a avancé une « solution technique » : demander aux jurys du bac de prendre en compte, en lieu et place de la note non communiquée, la moyenne obtenue par l’élève sur les trois trimestres de la classe de terminale dans la matière concernée. Au moins, a-t-il précisé, de « manière provisoire » : une fois la note de l’épreuve restituée, celle-ci sera retenue si elle est meilleure ; dans le cas contraire, la note de contrôle continu sera conservée.

Sur le terrain de la contestation, ça a d’abord été la sidération : « Le ministre choisit carrément d’annuler les épreuves… ou de faire comme si ! On a du mal à y croire », soufflait une jeune enseignante, mercredi soir. « On reçoit de très nombreuses réactions outrées, soulignait-on dans les rangs du SNES-FSU, syndicat majoritaire dans le second degré. M. Blanquer franchit un cap en méprisant à la fois la mobilisation des personnels, le travail des jurys et celui des élèves. »

« Le bac 2021 dès la session 2019 »

« C’est l’arroseur arrosé », réagissent les observateurs de la scène scolaire : pour « casser » la grève, l’institution joue la carte du contrôle continu – ce même contrôle continu qui mobilise les enseignants opposés à la réforme du bac, où il est introduit à hauteur de 40 % de la note finale. « Belle parade, fait observer un proche du ministre. Blanquer réussit à introduire le bac 2021 dès sa session 2019… »

Les grévistes ont, eux, sorti leur code de l’éducation et les textes qui régissent leur profession. Sur les groupes de discussion, mercredi soir, d’aucuns dénonçaient une « rupture d’égalité », une « atteinte à la souveraineté des jurys » ; d’autres interrogeaient la « légalité de la décision » et promettaient des « recours possibles devant les tribunaux administratifs ». « M. Blanquer vient de créer les conditions d’une rupture d’égalité entre les candidats, s’indigne Frédérique Rolet, à la tête du SNES-FSU : certains élèves auront donc un bac lié aux épreuves finales, d’autres un bac lié au contrôle continu ; certains élèves pourraient être convoqués au rattrapage alors qu’ils sont peut-être admis. Et quid des candidats libres qui n’ont pas de notes sur l’année ?, questionne-t-elle. Tout cela montre bien que le ministre est aux abois. »

Rue de Grenelle, on joue l’apaisement. Primo, y assure-t-on, ce type de « repêchage » par le contrôle continu « arrive à chaque session en cas de pertes ou de vols de copies » – ce que la plupart des enseignants disent ignorer. Secundo, il ne concernerait qu’un « petit nombre de candidats ». Depuis quarante-huit heures, une bataille des chiffres fait rage : selon les enseignants mobilisés, de 2,5 % à 16 % des candidats pourraient être affectés par la rétention des notes. Le ministre qui, jusqu’à présent, ne reprenait aucun chiffre à son compte, s’y est risqué mercredi : le nombre de copies manquantes serait inférieur à 100 000, pour M. Blanquer, qui espérait les faire tomber à « moins de 50 000 » dans les vingt-quatre heures.

Les sanctions brandies ces derniers jours sont pour le moins dissuasives : les personnels sont « considérés comme grévistes à partir du jour où ils ont pris les copies, ça signifie un retrait de salaire de dix à quinze jours », a-t-il de déclaré sur BFM-TV. Les enseignants dénoncent une « manière de faire illégale » : « Nous ne pouvons être considérés comme grévistes qu’à partir du jour où nous n’avons pas rendu nos notes, affirme Jérémy, enseignant en Seine-Saint-Denis. Avant, nous avons travaillé, corrigé nos copies… »

Le délai pour rentrer les notes a été repoussé du mardi 2 au mercredi 3 juillet. Le 4 juillet peut-il être le jour d’un « retour au calme », comme l’escomptait le ministre ? Les grévistes, qui réclament un moratoire sur la réforme Blanquer, espéraient bien, au contraire, faire monter la pression d’un cran. « Nous avons de quoi provoquer des révolutions dans les jurys qui se réunissent ce jeudi. Les quitter ne pourra pas nous être reproché ! », peut-on lire sur des groupes Facebook d’enseignants, appelant à la grève le 4 juillet.

Quelle qu’en soit l’issue, cette avant-dernière édition du bac avant refonte totale aura été riche en rebondissements. Avant les correcteurs, ce sont les surveillants qui, au premier jour des épreuves le 17 juin, ont débrayé. Du jamais-vu depuis 2003. Dans les rangs de la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, on ronge son frein. « Puisque la méthode de gestion du dialogue social avec les enseignants, c’est de jouer à je te tiens tu me tiens par la barbichette… , et que les enfants sont les victimes collatérales de ce face-à-face mortifère, il est urgent que le chef de l’Etat siffle la fin de la récré », s’énerve Rodrigo Arenas, son coprésident.