Tour de France : c’est tombé sur Jakob Fuglsang
Tour de France : c’est tombé sur Jakob Fuglsang
Par Henri Seckel
Le Danois d’Astana, considéré comme le premier rival d’Ineos, a chuté lors de la première étape du Tour et rallié Bruxelles le visage en sang. Sans conséquence ? Pas forcément, comme le montre le passé.
Les agités du Gidon. / JEFF PACHOUD / AFP
Un drapeau bleu-blanc-rouge flotte au sommet de l’Atomium, et un autre au sommet du Tour de France. Hélas, les rayures sont dans l’autre sens : le Néerlandais Mike Teunissen surprend en remportant au sprint la première étape, pour 17 centimètres devant Peter Sagan. Teunissen, de l’équipe Jumbo-Visma, a pris le relais de son sprinteur et favori du jour, Dylan Groenewegen, tombé avant la flamme rouge. La victime de la traditionnelle chute-de-la-première-étape s’appelle Jakob Fuglsang.
Le premier maillot jaune du Tour 2019 est néerlandais, mais la première arcade sourcilière laissée sur la route du Tour 2019 est danoise. C’est celle de Jakob Fuglsang, 34 ans, dont le visage est allé dire bonjour au bitume belge un peu moins de vingt kilomètres avant l’arrivée, quelque part entre Tervuren et Auderghem.
Full Sang. / POOL / REUTERS
Le Tour ne pouvait pas plus mal débuter pour le leader de l’équipe Astana, candidat à la victoire finale à Paris, et déjà bien amoché alors que 194 kilomètres à peine sur 3 480 ont été parcourus. Visage en sang, façon Bernard Hinault 1985, Fuglsang a pu réintégrer le peloton et finir sans perdre de temps, mais il est touché à l’arcade gauche – quatre points de suture – et au genou droit – pas de fracture, mais des contusions musculaires. Le vainqueur du dernier Critérium du Dauphiné boitait légèrement, et devait être soutenu par un membre du staff, lorsqu’il s’est engouffré dans la voiture de son équipe.
« J’étais derrière lui au moment de la chute, raconte son coéquipier Magnus Cort Nielsen, plusieurs gars se sont touché les roues et sont tombés vers la gauche juste devant lui, il n’avait nulle part où aller, donc il a foncé droit sur eux. » « C’est un mec de l’équipe Bahrein qui est venu de côté alors que j’étais au milieu du peloton, il n’y avait rien à faire », confirme l’intéressé, qui veut encore y croire : « J’ai perdu le premier round mais je ne suis pas fini. »
La suite s’annonce compliquée dans ce Tour qui laisse peu de répit. Demain, pour commencer : 27 kilomètres de contre-la-montre par équipes dans les rues de Bruxelles, un exercice qui implique d’être à bloc en permanence, et pour lequel il est préférable d’avoir deux genoux opérationnels. « C’est sûr que ça ne nous met pas dans une position idéale, on va faire du mieux qu’on peut, explique Alexandre Vinokourov, directeur général d’Astana. Le plus important, c’est qu’il continue la course. »
Peut-il la continuer sereinement ? Fuglsang n’a pas perdu la moindre seconde sur ses principaux rivaux, le Colombien Egan Bernal et le Gallois Geraint Thomas (qui a chuté lui aussi, sans gravité), mais un coup d’œil au passé suscite quelques inquiétudes à plus long terme. Lors de la première étape du Tour 2016, Alberto Contador avait chuté dans un rond-point, sans gravité apparente, mais avait dû abandonner à la 9e étape, victime de douleurs persistantes à l’épaule. Deux ans plus tôt, Chris Froome avait glissé sur la chaussée humide de la 5e étape, que ses douleurs au poignet ne l’avaient pas empêché d’achever. Il avait quitté la course le lendemain, incapable de tenir son guidon correctement sur les pavés du Nord.
Jakob Fuglsang a déjà vécu une chute à effet différé : en 2017 sur le Tour, alors qu’il était 5e au général, il avait chuté lors de la 12e étape avant de repartir, et d’abandonner deux jours plus tard. Le Danois préférera sans doute se référer au cas Froome sur le Tour d’Italie 2018 : tombé lors de la reconnaissance du prologue, l’Anglais avait payé sa chute dans les deux premières semaines de course, où on l’avait vu à l’agonie. Ressuscité en troisième semaine, il était entré dans Rome vêtu du maillot rose de vainqueur.
Le Tour du comptoir : Bruxelles
Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.
Où l’on apprend que les Belges ont toujours ça là.
Les trois premières étapes du Tour 2019 s’élancent de Belgique, nos trois premiers comptoirs seront belges, et l’on s’est promis de ne pas évoquer une seule fois la demi-finale de la discorde avec les autochtones que l’on y croisera (demi-finale dont vous pouvez néanmoins revoir les hauts faits, comme le but de Samuel Umtiti, par exemple, ici). Alors parlons du Tour. De toute façon, les Belges adorent le vélo. « Ah ça commence aujourd’hui le Tour ? » Manifestement, les Belges n’adorent pas tous le vélo.
Sandy par exemple, sympathique serveuse de la brasserie de l’Union, que l’on dérange au moment de la livraison de deux sacs de glaçons, et qui demande à son collègue : « Tu sais les monter à l’étage ? Moi je ne sais pas monter les deux d’un coup, chaque fois je dois faire deux allers-retours. » L’ineffable usage du verbe « savoir » en Belgique.
Sandy, à droite.
La brasserie de l’Union, au cœur du quartier Saint-Gilles, troquet charmant ainsi nommé car c’est là que se rassemblaient les syndicats de commerçants du marché voisin. Troquet engagé, à en croire les murs : « Contre le fascisme, portez le triangle rouge » ; « Si tu es une femme et que tu peux voter, c’est grâce aux féministes » ; « Le peuple se trouve partout. » Sauf à l’Union, ce matin-là, où l’activité est légère.
Il est vite clair que ce n’est pas ici qu’on discutera passionnément du Tour et de son plus célèbre ambassadeur : « C’est vraiment parce que c’est le Tour qu’on a ressorti les vieux dossiers d’Eddy Merckx à Bruxelles, dit Sandy. Sinon, on parle plutôt de Jacques Brel. Beaucoup de jeunes qui viennent ici, ils s’en fichent, d’Eddy Merckx. » Plutôt foot, donc, même si on s’est promis de rester loin du sujet : « A cause de son nom, le café est devenu le QG des supporteurs de l’Union saint-gilloise [qui joue en 2e division belge, à deux kilomètres de là]. Quand il y a un gros match, on descend la télé. » Ces soirs-là, Sandy demande peut-être à son collègue s’il sait descendre la télé.
Bart, le patron, ancien punk, a repris l’affaire au début des années 1990, à une époque où on pouvait retrouver un client mort d’overdose dans les toilettes – il le raconte dans cet entretien avec Vice Magazine. Le quartier a changé, les murs sont devenus propres, on ne meurt plus d’overdose dans les toilettes. « Saint-Gilles se boboïse, comme tout Bruxelles, mais ce café reste populaire, explique Sandy. C’est à la bonne franquette [« à la bonne belquette », devrait-t-on dire ici, non ?], les prix sont très abordables, la population est mélangée. »
On croise autant la jeunesse branchée que la vieillesse débranchée, tel Louis, qui revient du marché, commande un cappuccino, et présente sa pêche miraculeuse à sa femme, qui sirote un thé au lait : « J’ai trouvé des chemisettes d’été pour toi. Je me suis pris des petites sandalettes italiennes, une bonne marque, j’ai pris du 43 parce que sinon elles sont trop petites et mon orteil touche au bout, et ça fait un cor. » Il sort les chemisettes. « Tu vois, c’est bien, tout du coton, extensible. » Madame acquiesce.
On tente une approche. Va-t-il aller voir passer le Tour ? « Non, trop de monde, je vais regarder à la télé. Mais je vais surtout regarder Belgique - Hongrie. » Championnat d’Europe de basket féminin. « Si les Belges gagnent, elles auront encore une chance d’aller à Tokyo. Mais pour le championnat d’Europe, c’est fini. » Bourreaux (bourrelles, plutôt) des Belges : les Françaises, en quarts de finale. « Alors qu’on menait de trois points à dix secondes de la fin ! » En effet.
« Ça fait deux fois en deux ans ! », s’agace un habitué, à une table voisine. Plaît-il ? « La Coupe du monde, l’an dernier ! C’est pas encore bien digéré. » Avant de s’en aller comme un prince, Louis pointe son index sur sa gorge : « C’est resté là, ça. » C’est pas de notre faute.