Moussa Faki Mahamat, président de la Comission de l’Union africaine à Niamey, au Niger, le 4 juillet 2019. / ISSOUF SANOGO / AFP

« Le processus a été éprouvant. » La confession est de Prudence Sebahizi, conseiller technique en chef de la Commission de l’Union africaine (UA) sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Eprouvant, « mais aussi excitant ». Après quatre années de négociations, l’heure est aux célébrations à Niamey (Niger), où les chefs d’Etat et de gouvernement africains vont lancer la « phase opérationnelle » de ce marché commun, à l’occasion d’un sommet extraordinaire de l’UA, dimanche 7 et lundi 8 juillet.

« Gardez à l’esprit que les négociations ont commencé en 2015. Nous sommes maintenant en 2019. La première phase est presque terminée. Un tel accord ratifié en quatre ans, c’est remarquable ! Cela montre l’engagement politique » des dirigeants, se réjouit David Luke, coordinateur du Centre africain pour les politiques commerciales à la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU, qui a accompagné l’UA dans le processus de négociations.

« Ils devaient réagir »

Ce projet phare de l’UA avait déjà été imaginé par les pères fondateurs de son ancêtre, l’Organisation de l’unité africaine. Evoqué à plusieurs reprises, le projet était pourtant resté dans les tiroirs jusqu’en 2012, quand une décision de l’UA sur la stimulation du commerce intra-africain a finalement été adoptée. La décision de lancer le processus de négociations pour une zone de libre-échange a été prise trois ans plus tard. Les choses se sont ensuite accélérées, surtout à partir de la signature de l’accord par 44 pays, le 21 mars 2018 à Kigali, au Rwanda. « Le leadership actuel [de l’UA] a davantage la volonté politique de faire en sorte que cela fonctionne », pense Talkmore Chidede, chercheur au Centre juridique sud-africain Tralac.

Pour Melaku Desta, consultant indépendant auprès de la Commission de l’Union africaine, ce coup d’accélérateur résulte en partie d’une prise de conscience des dirigeants africains, inquiets d’être « les grands perdants de l’échec du processus multilatéral ». Alors que les négociations du cycle de Doha, menées au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), se désagrégeaient, un certain nombre d’accords régionaux ont commencé à s’esquisser : l’Europe et les Etats-Unis parlaient d’un traité de libre-échange transatlantique, l’administration Obama portait l’accord sur le partenariat transpacifique. « Les dirigeants africains ont compris que les règles commerciales seraient désormais élaborées dans le cadre d’arrangements régionaux excluant le continent. Ils devaient réagir », analyse M. Desta.

La solution ? Doper le commerce interafricain en intégrant davantage des marchés aujourd’hui très fragmentés. Un vaste chantier, compte tenu des contraintes tarifaires mais également des barrières dites non tarifaires comme la corruption aux douanes, le temps d’attente aux frontières, ou la piètre qualité des infrastructures. Autant d’obstacles qui ont jusqu’à présent limité le commerce entre les pays du continent.

Les négociations n’ont pas été un long fleuve tranquille.  « Lorsque 55 pays siègent ensemble, chacun d’eux propose un agenda différent et le plus petit problème peut facilement mener à une impasse », poursuit M. Melaku. Une telle ouverture commerciale, prévoyant la suppression de 90 % des barrières tarifaires, a inévitablement suscité des craintes. Ainsi le Nigeria n’a-t-il cessé de tergiverser, de peur que ce marché commun ne compromette son programme d’industrialisation.

Tout en participant aux négociations, les autorités de la deuxième plus grosse économie africaine ont multiplié les consultations avec les syndicats et le patronat. Dans un tweet laconique, le président Muhammadu Buhari a finalement annoncé, mardi, son intention de signer l’accord à Abuja.

Sans montrer autant d’hésitations, l’Afrique du Sud s’est aussi montrée très pointilleuse, d’après M. Chidede. « Les entreprises sud-africaines, telles que l’industrie automobile, essaient de tirer le meilleur parti de l’accord en veillant à ce que les règles d’origine et les listes de concession tarifaires leur soient favorables », explique-t-il.

« Une erreur historique à corriger »

Il a fallu de la patience aux négociateurs pour rassurer les plus frileux, et tenter de répondre aux interrogations, sur l’avenir des communautés économiques régionales par exemple, au nombre de huit à l’UA, et des accords bilatéraux avec des entités non africaines. « Les négociations ont été accompagnées d’un certain nombre d’études techniques, menées tout du long. Nous avons dû passer par un long processus pour expliquer à tous les Etats membres quels sont les défis et les avantages », explique M. Sebahizi.

Un groupe de sept pays s’est également constitué pour faire entendre leur voix et demander des flexibilités. Ils devraient obtenir gain de cause, en se voyant octroyer des périodes de transition plus longues. « Mais ils devraient atteindre le même niveau de libéralisation que les autres d’ici à quinze ans », selon Guillaume Gerout, consultant auprès de la CEA qui rappelle que ces négociations se traitent au plus haut niveau, par le champion de la Zlecaf, le président de la République du Niger, Mahamadou Issoufou.

« Les défis auxquels nous sommes désormais confrontés sont énormes. Ce que nous avons fait, c’est une promenade dans le parc qui ne nous a pas préparés à ce qui nous attend », pense Melaku Desta. Mais, pour David Luke de la CEA, le jeu en vaut la chandelle : « Une anomalie historique est en cours de correction. La manière dont l’Afrique a été intégrée à l’économie mondiale par le colonialisme il y a plusieurs siècles a eu pour effet que le commerce des produits africains n’est dirigé que hors du continent. Ce n’est pas normal. Partout ailleurs, vous commercez avec vos voisins. Le colonialisme a déformé ce qui devrait être la croissance naturelle du commerce. »