Libye : des missiles appartenant à la France aux mains des forces antigouvernementales
Libye : des missiles appartenant à la France aux mains des forces antigouvernementales
Le Monde.fr avec AFP
Le ministère des armées a confirmé que les armes antichars retrouvées dans une base des forces du maréchal Haftar étaient bien la propriété de la France.
Des missiles antichar américains de type Javelin montrés par les forces du gouvernement de Tripoli, le 29 juin. / - / AFP
Comment des missiles français de fabrication américaine ont-ils pu être retrouvés dans une base des forces du maréchal Haftar, le chef des forces antigouvernementales en Libye ? Dans une enquête publiée dans son édition du mardi 10 juillet, le New York Times a révélé que ces quatre armes antichars de type Javelin avaient bien été achetées par la France aux Etats-Unis, ce que le ministère français des armées a reconnu. D’un coût de 170 000 dollars l’unité, ces missiles ont été saisis fin juin par les forces fidèles au gouvernement de Tripoli, soutenu par les Nations unies, dans une base abandonnée des combattants pro-Haftar dans la ville de Gharian.
Les missiles « appartiennent effectivement aux armées françaises, qui les avaient achetés aux Etats-Unis. Nous l’avons confirmé à nos partenaires américains », a déclaré le ministère des armées. Paris nie pourtant avoir enfreint l’embargo sur les armes qui concerne la Libye. Selon le ministère, ces armes étaient destinées à « l’autoprotection d’un détachement français déployé à des fins de renseignement en matière de contre-terrorisme ». Selon Paris, elles seraient « endommagées et hors d’usage » et auraient été « temporairement stockées dans un dépôt en vue de leur destruction ». Paris nie qu’elles ont été transférées à des forces locales : « Il n’a jamais été question ni de vendre, ni de céder, ni de prêter ou de transférer ces munitions à quiconque en Libye ».
Missiles vendus à la France en 2010
Toutefois, la proximité de la France avec le maréchal Haftar est connue. Elle s’est notamment manifestée par l’aide apportée par Paris au chef militaire lors de la prise de Benghazi, son fief actuel. En 2016, trois militaires avaient péri lors d’une mission de renseignement dans l’Est libyen. La France a aussi reconnu avoir apporté du renseignement au maréchal Haftar dans la lutte antidjihadistes dans l’est et le sud du pays mais a démenti tout soutien militaire dans son offensive contre Tripoli. Selon le New York Times, la réaction française laisse « de nombreuses questions sans réponse ». En effet, les forces spéciales françaises en Libye sont basées pour l’essentiel dans l’est du pays, où Haftar domine, et pas dans l’Ouest, où il mène son offensive contre la capitale depuis le printemps. Par ailleurs, les déclarations du ministère des armées ne disent pas non plus pourquoi ces munitions, stockées dans un pays en guerre, n’ont pas été rapidement détruites.
La découverte de ces armes de fabrication américaine à Gharian a immédiatement déclenché une enquête à Washington, qui vise à comprendre comment elles ont pu atteindre un pays vers lequel les exportations d’armes sont théoriquement formellement interdites depuis 2011. Initialement ces armes ont été soupçonnées d’appartenir aux Emirats arabes unis, qui avaient fermement démenti. Selon le New York Times, le département d’Etat américain a conclu que les missiles Javelin « avaient été originellement vendus à la France » en se fondant notamment sur « leurs numéros de série ». Paris avait acheté aux Etats-Unis quelque 260 missiles Javelin en 2010, selon l’Agence de coopération de sécurité et de défense du Pentagone, citée par le New York Times.
1 000 morts en trois mois
En dépit de l’embargo, des livraisons d’armements sont signalées de tous côtés depuis trois mois en Libye, faisant peser la menace d’une guerre par procuration entre puissances régionales. Fayez Al-Sarraj, le chef du gouvernement de Tripoli, soutenu par les Nations unies, est notamment appuyé par la Turquie et le Qatar. Khalifa Haftar bénéficie, lui, du soutien de l’Egypte et des Emirats arabes unis et d’un appui, au moins politique, des Etats-Unis et de la Russie.
Des experts des Nations unies enquêtent aussi sur une possible implication militaire des Emirats en Libye, après des tirs de missiles air-sol Blue Arrow en avril avec des drones Wing Loong de fabrication chinoise équipant l’armée émiratie. Parallèlement, en mai, le gouvernement d’union nationale a publié des photos de dizaines de blindés turcs sur le quai du port de Tripoli. En trois mois de combats, environ 1 000 personnes, dont des dizaines de migrants, ont été tuées en Libye.
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