Le Congo-Brazzaville n’en a pas fini avec ses dettes cachées
Le Congo-Brazzaville n’en a pas fini avec ses dettes cachées
Par Joan Tilouine
Le FMI se rassemble jeudi pour décider d’un éventuel plan de soutien au pays, dont une créance réclamée par l’entrepreneur de BTP Mohsen Hojeij complique le dossier.
Le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) se réunit, jeudi 11 juillet, pour décider d’un éventuel plan de soutien au Congo-Brazzaville. Ce pays d’Afrique centrale, riche en pétrole et en bois, est néanmoins criblé de dettes opaques et toxiques contractées auprès de partenaires, comme la Chine, et de géants du négoce de l’or noir tels que Glencore et Trafigura. A cela s’ajoute une créance réclamée par un entrepreneur depuis trois décennies et dont le montant s’élève aujourd’hui à 1,2 milliard d’euros, soit près de 15 % du produit intérieur brut (PIB) du Congo.
L’homme d’affaires libanais né au Nigeria et de nationalité britannique, Mohsen Hojeij, est aujourd’hui la principale menace économique du président Denis Sassou-Nguesso, dont il était autrefois proche. A la tête d’une société de BTP, Commissions Import-Export S.A. (Commisimpex), il a réalisé au début des années 1990 des chantiers d’infrastructures publiques restés impayés. La facture de 100 millions d’euros, en 1992, dépasse aujourd’hui, avec les intérêts, le milliard d’euros.
Par le biais de son avocat, M. Hojeij interpelle le FMI dans une lettre datée du 5 juillet, révélée par Reuters et consultée par Le Monde. « Nous exigeons des autorités congolaises qu’elles s’engagent enfin dans un processus significatif et des négociations fructueuses avec Commisimpex sur le paiement de la dette », peut-on lire dans cette missive adressée à David Lipton, directeur général par intérim du FMI et Abebe Selassie, responsable du département Afrique. Et d’exhorter l’institution internationale à « exiger que les autorités congolaises enregistrent pleinement et correctement la dette de Commisimpex dans les comptes publics ».
Comptes bien fournis en Chine
Le Congo-Brazzaville est dirigé depuis plus de trente-deux ans par Denis Sassou-Nguesso et son clan, visés par des enquêtes judiciaires en Italie et en France notamment, pour des présumés « blanchiments de détournements de fonds publics » importants. Malgré le train de vie fastueux de ses dirigeants soupçonnés de corruption à grande échelle, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Et le pays cumule les dettes sans toujours l’admettre ou en s’efforçant de les dissimuler. En août 2017, acculé, Brazzaville a fini par confier au FMI avoir menti sur le montant de son endettement qui s’élevait à 120 % du PIB – et non pas à 77 %. En avril 2018, le Fonds a conditionné son soutien à la mise en œuvre de « réformes audacieuses et immédiates dans le domaine de la gouvernance ».
Le Congo-Brazzaville n’a eu d’autres choix que de négocier cette année le calendrier de paiement de sa dette à l’égard de la Chine. Celle-ci s’élève à 3,15 milliards de dollars, soit 35 % de l’endettement total, estimé à 9 milliards de dollars. Pékin n’a pas caché son agacement, d’autant que plusieurs figures du gouvernement et de la famille présidentielle disposent de comptes en banques bien fournis en Chine.
Mi-avril, le directeur de cabinet de Denis Sassou-Nguesso, son conseiller sur les affaires judiciaires, plusieurs de ses ministres et des membres de son clan se sont rendus à Paris pour tenter vainement de discuter avec les magistrats français qui enquêtent sur les « biens mal acquis ». Il s’agissait en fait de contenir une éventuelle salve de convocations de figures du clan « Sassou » par les enquêteurs et d’éviter un scandale qui nuirait à son image déjà dégradée auprès des institutions internationales.
En même temps, à Pékin, ses émissaires sont parvenus à arracher un accord de restructuration de la dette. « L’accord avec la Chine représente une étape décisive dans la restauration de la soutenabilité de la dette publique », selon le FMI, qui a annoncé, le 9 mai, un accord avec les autorités congolaises permettant l’éventuel lancement d’un plan de soutien et des facilités de crédit.
Préfinancement pétrolier
Six jours plus tard, Mathieu Pigasse (actionnaire à titre individuel du groupe Le Monde), de la banque Lazard, et Dominique Strauss-Kahn, l’ancien patron du FMI reconverti dans la consultance, exhortent le gouvernement congolais, qui les emploie pour des opérations de conseil, à rompre avec l’opacité en vigueur sur ses dettes. Cette missive révélée par La Lettre du continent évoque alors un possible « rejet » par le FMI. Les montants contractés auprès des mastodontes du trading pétrolier restent mystérieux. « Vis-à-vis de Glencore ou de Trafigura, le Fonds avance à l’aveugle et n’estime pas vraiment l’ampleur des dettes », souligne un analyste.
Le Congo-Brazzaville a largement abusé de préfinancement pétrolier ces dernières années, une pratique qui consiste à hypothéquer une partie de sa production pendant plusieurs années, en échange d’argent frais. Le tout en s’adonnant à des pratiques corruptives présumées mises en lumière par des enquêtes judiciaires suisses concernant la société genevoise Gunvor, et italiennes visant la multinationale Eni. De son côté, le géant français Total s’est permis d’aider le Congo à se refinancer en 2003, via de complexes circuits financiers offshore, pour mieux échapper à la vigilance du FMI, comme l’avait révélé Le Monde en mai 2018.
Dans cet environnement judiciaire trouble, le Fonds prend des risques. La dette de Commisimpex, qui tente vaille que vaille de saisir des biens et des comptes bancaires pour se rembourser, reste exclue de ses calculs. « Elle n’est pas reconnue au Congo qui la conteste fermement. Cette dette est instrumentalisée pour nuire au Congo », précise un conseiller du président Denis Sassou-Nguesso. « Le FMI prend en compte des dettes dont l’existence n’est pas claire et fait le choix de laisser de côté la seule créance incontestable », constate Jacques-Alexandre Genet, l’avocat de la société de M. Hojeij. Ce dernier s’appuie sur des « décisions définitives » rendues par la Cour de cassation en France et d’une sentence arbitrale prononcée par la Chambre de commerce internationale, à Paris. Contacté, le FMI n’a pas souhaité réagir.