D’avance, pardon pour le retard. Disponible sur PC et PlayStation 4, Heaven’s Vault date déjà du 19 avril. S’il nous est permis une pirouette, disons qu’il y a une certaine cohérence à chroniquer trois mois plus tard un jeu qui est tout entier tourné vers le thème de l’exploration du passé.

La Boucle

La création du studio britannique Inkle (Sorcery !, 80 Days) met en scène Aliya, une archéologue spatiale. Accompagnée de Six, un robot aussi serviable qu’ambigu, elle voyage en astronef aux confins de la galaxie Nebula pour comprendre son origine, et les événements qui ont conduit à l’extinction d’un puissant empire. Quitte à remettre en question tout ce à quoi ses congénères croient.

Dans cette galaxie arabofuturiste tressée de rivières interstellaires, l’humanité adhère à la religion de la Boucle (Loop : le jeu est en anglais). A l’image de ces fleuves qui serpentent entre les planètes, l’histoire ne serait, selon elle, qu’un perpétuel recommencement, les bonheurs et les désastres du passé annonçant ceux du futur.

Face à cette piété omniprésente, Aliya incarne le doute et la curiosité scientifiques. Missionnée par sa mère adoptive pour retrouver la trace d’un ingénieur en robotique disparu sur une planète éloignée, l’archéologue découvre en chemin des reliques ancestrales gravées dans une langue oubliée. Elle met peu à peu le doigt dans l’engrenage d’une révolution copernicienne, celle de la découverte d’un passé insoupçonné.

Heaven’s Vault – Announcement Trailer | PS4
Durée : 01:40

Enfantin et métaphysique

C’est peu dire que Heaven’s Vault est un hommage à l’histoire – au sens le plus littéral, celui du grec ancien historia (enquête, compte rendu). Il y a dans cette aventure spatio-archéologique quelque chose d’enfantin, une soif inextinguible de compréhension, qui gonfle la voile du joueur et le fait descendre les fleuves vers des astres inconnus. Mais cette aventure est également métaphysique. S’il fallait proposer un équivalent, ce serait le roman La Horde du contrevent, d’Alain Damasio : là des vents qui sous-tendent toute une langue, toute une cosmogonie ; ici des rivières qui sont le lit de l’histoire. Et dans les deux cas, le vertige d’un monde dont les règles échappent à notre réalité.

Au jour le jour, Heaven’s Vault s’apparente à un jeu d’enquête narratif enrichi d’énigmes linguistiques. L’aventure emmène le joueur à dialoguer en permanence avec des personnages à la fois attachants et ambigus, et par le jeu des pactes et des méfiances, le laisse s’embarquer dans l’un des multiples scénarios possibles de l’aventure, que l’on se gardera bien de « divulgâcher » ici.

La compréhension de ce monde et sa résolution s’accrochent, elles, au déchiffrage d’inscriptions antiques dans une langue fictive inconnue. Il va s’agir de la décoder, en perçant sa logique interne, pas à pas, brique par brique, jusqu’à devenir la Champollion de l’espace.

La langue des anciens est un défi lancé à la compréhension du joueur – et un formidable joujou pour amateurs d’écritures et de langues. / Inkle

La gymnastique intellectuelle nécessaire, faite d’induction et de déduction, rappelle autant les jeux The Witness que Return of the Obra Dynn. En plus hermétique de prime abord, mais en plus assistée aussi, le jeu se précipitant pour suggérer des traductions possibles. D’une manière générale, Heaven’s Vault est un éloge de l’intelligence, mais jamais un jeu qui fait se sentir bête.

Abandon et déraison

Bienveillant dans son écriture, magnanime dans son système de progression, il tend en permanence la main au joueur, pour mieux l’inviter à se perdre dans cet univers pétri de mystère. D’une manière générale, ce qu’il a à offrir dépasse très largement le cadre de quelques énigmes. C’est une plongée d’une finesse et d’une efficacité rares dans un roman de science-fiction interactif, aux paysages fascinants, à l’écriture ciselée, à l’intrigue haletante, et ce, en dépit d’une réalisation qui semble elle-même venir d’un passé lointain.

Les paysages, qui mêlent décors classiques de science-fiction et style islamique, sont un dépaysement de tous les instants. / Inkle

Vu de l’extérieur, il y a une forme de déraison à se laisser entraîner sciemment dans ce récit aux planètes si étroites, aux animations si rustres, avec ses personnages si nonchalamment posés sur des décors de peu de choses. Heaven’s Vault est certes un flacon qui ne paye pas de mine, mais dont l’ivresse est lente et certaine.

Durant sa quinzaine d’heures de quête, on s’y abandonne corps et âme, porté par ces voyages filamenteux oniriques, la musique de Laurence Chapman, et le vertigineux puzzle qui s’articule et se déploie à mesure de nos avancées, de nos découvertes, et qui constitue un modèle de cohérence narrative rarement atteint.

Dans une industrie du jeu vidéo obsédée par la référence au cinéma, Heaven’s Vault est un jeu qui se lit et se dévore. C’est, enfin, une aventure dont on ne sort pas sans l’irrépressible envie de la relancer immédiatement, et dans un geste de mise en abîme qui couronne son génie, de relancer soi-même la Boucle.

« On the road again » sur les rivières filamenteuses de la galaxie Nebula. / Inkle

En bref

On a aimé…

  • Un monde riche, bien écrit, original, organique et stimulant.
  • De nombreux moments de pure apesanteur contemplative.
  • La bienveillance du jeu face aux énigmes linguistiques.

On n’a pas aimé…

  • Quelques allers-retours un peu superflus vers la fin de l’aventure.
  • La réalisation technique n’est pas la plus engageante.
  • Cet article n’a pas assez de place pour dire tout le bien qu’on en pense.

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez choisi d’apprendre le klingon sur DuoLinguo.
  • Il y a un manuel de chinois, La Poésie du gérondif et In the land of invented languages dans votre bibliothèque.
  • Ainsi que No Man’s Sky, The Witness et Obra Dynn dans votre ludothèque.
  • Et La Horde du contrevent dans votre liseuse.

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous n’avez pas un bon niveau en anglais (les textes ne sont pas traduits).

La note de Pixels

צען אויס פון צען.