Soixante-quinze ans de l’opération « Walkyrie » contre Hitler : « Il y a des moments où la désobéissance peut être un devoir »
Soixante-quinze ans de l’opération « Walkyrie » contre Hitler : « Il y a des moments où la désobéissance peut être un devoir »
Le Monde.fr avec AFP
Le 20 juillet 1944, l’officier aristocrate von Stauffenberg déposait un explosif à retardement dissimulé dans sa sacoche lors d’une réunion au quartier général du Führer « la Tanière du loup », près de Rastenburg.
La chancelière allemande, Angela Merkel, à la célébration en hommage aux instigateurs de l’opération « Walkyrie », samedi 20 juillet à Berlin. / FABRIZIO BENSCH / REUTERS
L’opération « Walkyrie » a soixante-quinze ans. L’Allemagne a rendu un hommage appuyé, samedi 20 juillet, aux auteurs de l’attentat manqué contre Hitler et à leur meneur controversé Claus von Stauffenberg. « Il y a des moments où la désobéissance peut être un devoir », a jugé la chancelière Angela Merkel dans un discours lors d’une cérémonie à Berlin, prononcé devant les jeunes recrues de l’Armée allemande.
Le 20 juillet 1944, l’officier aristocrate von Stauffenberg déposait un explosif à retardement dissimulé dans sa sacoche lors d’une réunion au quartier général du Führer « la Tanière du loup », près de Rastenburg. La tentative d’assassinat échoue et le putsch, qui implique alors plusieurs milliers de militaires et civils, est arrêté net. Hitler s’en sort avec de légères blessures. Le colonel, qui a participé à la campagne africaine du maréchal Rommel où il a perdu un œil et une main, et trois autres conjurés sont fusillés le soir même. Mais l’opération « Walkyrie » reste l’acte le plus célèbre de résistance contre le régime hitlérien.
« Pour nous, Stauffenberg était un lâche »
Pourtant, « il subsiste de l’incompréhension et du malaise » vis-à-vis de l’attentat du 20 juillet, a reconnu la chancelière. Et ce notamment car son auteur emblématique, Claus von Stauffenberg, était un officier de l’armée, selon elle. S’il fait souvent figure d’indéniable héros à l’étranger – comme dans le film hollywoodien avec Tom Cruise sorti en 2008 –, le personnage continue de faire débat en Allemagne, où ses détracteurs lui reprochent une reconversion jugée tardive de sympathisant nazi en organisateur d’attentat.
Claus von Stauffenberg fut aussi longtemps considéré comme un « traître » dans une société encore imprégnée par les années du nazisme, souligne par ailleurs Johannes Tuchel, directeur du Mémorial, dans une tribune au quotidien berlinois TAZ. Dans la zone d’occupation soviétique à l’est, c’est plus son élitisme et sa « révolution de palais », selon l’expression du grand résistant Anton Ackermann, qui s’accordaient mal aux idéaux populaires communistes.
« Pour nous, Stauffenberg était un lâche, qui n’avait pas utilisé un pistolet mais un explosif avec minuteur pour s’en sortir indemne », se souvient Kurt Salterberg, un soldat présent le jour de l’attentat, dans un entretien au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Mais à l’époque, « un simple soldat ne savait rien des atrocités des nazis », rappelle-t-il.
Il faudra attendre les années 1980 pour que la résistance au nazisme soit véritablement reconnue. L’attentat du 20 juillet ainsi que le destin des étudiants du groupe « La Rose blanche », décapités pour avoir distribué des tracts contre le régime, en sont devenus les emblèmes. Samedi, la chancelière a ainsi estimé que la Constitution fondant l’Etat de droit allemand n’aurait « peut-être pas pu naître telle qu’elle est » sans l’acte de Claus von Stauffenberg et ses alliés.
Récupération par l’extrême droite
Les historiens sont toutefois réservés. Car les putschistes défendaient bien plus une vision élitiste, antipluraliste, bref « une image très éloignée d’une société ouverte et démocratique », souligne l’historien Gerd Ueberschär, dans un livre récemment publié. Cela explique aussi pourquoi ils séduisent autant l’extrême droite.
Il y a un an, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) s’est affiché avec un portrait de von Stauffenberg rappelant que « la désobéissance civile et la réflexion critique sont des devoirs citoyens ». L’objectif est clair : se poser en victime de la « dictature de Merkel », pour reprendre la rhétorique des dirigeants de l’AfD, et se forger via cette référence à la résistance contre le nazisme une propre légitimité pour ses activités politiques, souligne M. Tuchel.
D’où l’importance pour Angela Merkel d’« entretenir la mémoire » des conjurés du 20 juillet, et celle de tous les résistants allemands au nazisme, qui par leurs actes nous appellent à rester « vigilants » face à toute forme de racisme ou d’antisémitisme.