Tour de France 2019 : Thibaut Pinot à l’attaque du maillot jaune
Tour de France 2019 : Thibaut Pinot à l’attaque du maillot jaune
Par Henri Seckel (Envoyé spécial à Foix, Ariège)
Le grimpeur de Groupama-FDJ a profité des pentes de Prat d’Albis pour mettre en difficulté Julian Alaphilippe et Geraint Thomas, et revenir à moins de deux minutes du maillot jaune.
Echappé matinal et vainqueur récidiviste après Bagnères-de-Bigorre trois jours plus tôt, Simon Yates compense la faillite de son frère avec une troisième victoire d’étape pour la Mitchelton-Scott. Il résiste aux favoris dans la dernière montée, dynamitée par Mikel Landa puis Thibaut Pinot. L’armure jaune de Julian Alaphilippe s’est fendillée, et les écarts se resserrent en haut du classement.
Thibaut Pinot en train d’exploser de joie intérieurement, le 21 juillet au Prat d’Albis. / JEFF PACHOUD / AFP
Certes, deuxième dans la grisaille du Prat d’Albis (1 205 m), qui n’avait jamais été visité en 105 Tours de France, c’est moins grandiose que premier sous le soleil du Tourmalet (2 115 m), 83 apparitions au compteur dans l’histoire de la course. En revanche, ça rapporte plus. Contrairement à la veille, Thibaut Pinot n’a pas gagné dimanche, la faute à Simon Yates, mais il a gagné quand même, plus encore que la veille.
Voyez donc : Pinot a gratté respectivement 55 et 24 secondes à Geraint Thomas et Egan Bernal dimanche, contre 46 et 18 samedi. Faites l’addition : il est permis de considérer que la minute quarante abandonnée dans la bordure sur la route d’Albi, lors de la 10e étape, relève bientôt du mauvais souvenir. Les jours sont peut-être comptés pour la complainte à la mode, qui dit : « Mais t’imagines, s’il n’avait pas été pris dans la bordure ? »
A une semaine de Paris, le leader de la Groupama-FDJ se tient en embuscade, quinze secondes derrière Geraint Thomas, trois derrière Steven Kruisjwijk, et douze devant Bernal (et 1 min 50 s derrière Alaphilippe, dont on imagine quand même qu’il finira par rétrograder un jour).
« J’ai repris du temps à tout le monde, c’est très bien, peut sourire Pinot, qui a profité d’une météo foireuse comme il aime et des bonnes jambes qui le soutiennent depuis Bruxelles pour accélérer là où la pente ariégeoise était la plus raide et susceptible de faire des dégâts. On était encore loin du sommet - 7 kilomètres - qui tenait lieu d’arrivée, mais c’était le plan. Thomas d’abord, Alaphilippe ensuite, Bernal enfin : les premiers rôles du général ont décroché les uns après les autres. « Aujourd’hui c’était assez montant, c’était ma météo, j’avais de bonnes sensations, il fallait que j’en profite. »
Oubliée la déprime post-bordure lors de la première journée de repos à Albi. La seconde, lundi à Nîmes, avec vue sur les Alpes et les trois ultimes étapes où se jouera le Tour à partir de jeudi, promet d’être plus sereine. « Faut continuer, souhaite Pinot. De toute façon, maintenant, on est partis pour remonter au classement général. Les étapes les plus dures arrivent, si j’ai la bonne jambe, je continuerai à prendre du temps. Quand on a les bonnes jambes, faut toujours en profiter. »
Tandis que les Alpes étaient désignées depuis Bruxelles comme si difficiles qu’elles bloqueraient la course dans les Pyrénées, Movistar et la Groupama-FDJ ont décidé qu’il fallait battre le fer tant qu’il était chaud et profiter de la faiblesse, aussi relative qu’inattendue, de l’équipe Ineos et son co-leader Geraint Thomas. Ce comportement tient aussi à l’ADN profond du leader de l’équipe française, toujours porté vers l’attaque quand les jambes répondent. « Le plaisir passe par l’attaque, juge son directeur sportif Philippe Mauduit. Il faut surfer sur la vague, rester là et continuer à tenter. »
Julian Alaphilippe en train d’exploser extérieurement. / Christophe Ena / AP
L’euphorie qui entoure Julian Alaphilippe depuis dix jours a des chances de changer d’épaules, en même temps que son maillot jaune. Alaphilippe, qui pourrait conserver la tunique au moins jusqu’au pied des Alpes, n’y verrait pas d’inconvénient : « Thibaut a vraiment montré qu’il était parmi les plus forts. La troisième semaine lui correspond bien, il a un bon état de fraicheur. Si je perds le maillot d’ici peu de temps, j’aimerais qu’il soit le prochain à le revêtir. »
« On ne discute pas trop de ça, on essaie de parler un peu d’autre chose, tempère David Gaudu, qui s’est fait la peau pour revenir sur le groupe maillot jaune dans la descente du mur de Péguère puis mettre son leader sur orbite, au mental, au pied de la montée de Prat d’Albis. Je lui ai juste demandé s’il savait à quelle place il était remonté, les écarts, etc. Mais on ne s’est pas dit “Aaaaah tu vas aller chercher le maillot !” ».
Cette perspective grignotera fatalement le cerveau de la bande à Pinot à l’approche des Alpes. « Tout le monde a envie de donner encore plus que ce qu’il donne, je pense qu’on va être surmotivés jusqu’à la fin du Tour », imagine Gaudu. La motivation sera une chose, les jambes de Thibaut Pinot en seront deux autres. L’accompagneront-elles toujours dans les ascensions vertigineuses qui arrivent ? « Je pense, dit Julien, le frère et entraîneur de l’intéressé. Il n’y a pas de raisons. Il est frais, il est en confiance, la bonne santé du groupe tire vers le haut. S’il n’y a pas de pépin, ça devrait aller. C’est plus les autres qui ont du souci à se faire. »
Le Tour du comptoir : Limoux
Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.
Où l’on a croisé un ami d’ami
« Il y deux choses importants à Limoux : la blanquette et le carnaval, et le rugby à XIII », ce qui fait donc trois choses importantes, et même quinze si l’on compte chacun des joueurs de l’équipe.
Croisé au hasard de la terrasse du Commerce, café de la place de la République, l’homme qui s’adresse à nous possède lui-même un physique de rugbyman (de 71 ans, tout de même) qui aurait pu nous mettre la puce à l’oreille. Présentations faites, il s’agit de Louis Bonnery, que notre collègue Adrien Pécout, à qui nous passons un salut confraternel, qualifiait de « mémoire vivante du rugby à XIII » dans cet article consacré à la discipline. Désolé, on ne l’avait pas reconnu, mais notre science du rugby à XIII est assez limitée (malgré les efforts surhumains d’Adrien Pécout pour nous y convertir).
Louis Bonnery revient de Paris, où il était allé commenter pour BeIn Sports des matchs de la Challenge Cup, plus vieille compétition de ce sport, remportée en 2018 par les Dragons Catalans (lisez donc à ce propos cet article d’Adrien Pécout, toujours lui). Dans l’avion du retour, il a lu Le Monde et une chronique consacrée aux gentilés mystérieux de notre pays (Bucco-Rhodaniens, Basco-Béarnais, Mussipontains, etc.). Quid des habitants de Limoux ? « Limouxins, Limouxines, avec le « x », et pas Limousins, Limousines, parce que ça, c’est les vaches », nous éclaire cet ancien international, et joueur emblématique du XIII limouxin (et pas limousin, donc).
Sans faire offense à Louis Bonnery, ni à Adrien Pécout, le rugby à XIII n’est pas l’élément qui nous intéresse le plus parmi les trois choses importantes dans cette jolie ville. En route pour le comptoir, à la découverte de la blanquette de Limoux, et pas celle d’ailleurs, parce qu’ailleurs, la blanquette, c’est les vaches aussi.
« Ne demandez pas une blanquette si vous ne voulez pas passer pour un touriste », prévient Louis. Pour la version brute, on commande « un brut ». Pour la version rosée, on commande « un rosé ». Et pour la version douce, évidemment, on commande « une ancestrale ».
Bruno, le patron du Commerce qui nous sert, s’enorgueillit d’être l’un des derniers grands bistrots d’Occitanie à ne faire que bistrot, et pas restaurant : « Je ne parle pas des petits troquets de quartiers hein. Sur les grandes places, comme ici, c’est devenu très rare, les bars qui ne font pas restaurant, même à Paris. » Il s’enorgueillit, même si c’est quand même moins grâce à lui, de ce que la blanquette est « le premier vin effervescent du monde, un texte date son existence de 1531. Et ça, ça n’a jamais été démenti par les Champenois », qui n’ont sans doute pas besoin de ça pour vivre correctement de leur raisin.
La blanquette, ça se boit frais, « sinon, ça sert à rien », assure Louis. Et ça se boit avec quoi ? « De l’apéro au digeo, jusqu’à tard dans la nuit. Il n’y a pas d’heure pour en boire. » Pour information, à 11 heures du matin, avec rien dans le ventre, et après deux semaines de Tour de France, deux verres (un de brut, un d’ancestrale), suffisent à provoquer des troubles de l’équilibre. Heureusement qu’on ne prenait pas le volant tout de suite. L’abus d’alcool, etc.