Le président ukrainien, Volodymyr Zelenskiy, le 21 juillet 2019, à Kiev. / Evgeniy Maloletka / AP

Editorial du « Monde ». L’Ukraine n’a pas fini de surprendre. Après avoir joué un rôle crucial dans l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, ce pays de 45 millions d’habitants, charnière entre l’Est et l’Ouest, n’a cessé de tenter de se détacher de l’orbite postcommuniste pour devenir une démocratie européenne, dotée d’une économie de marché dont le fonctionnement ne serait plus entravé par la corruption et les oligarques. La première tentative, avec la « révolution orange » de 2004, a échoué. La seconde, qui a suivi la courageuse « révolution de Maïdan » en 2014, n’a été qu’un demi-succès, notamment en raison des efforts déployés par le grand voisin russe pour l’empêcher d’aboutir.

Les résultats des élections législatives organisées dimanche 21 juillet offrent aux Ukrainiens la chance d’un nouveau départ. Il y a trois mois, en désespoir de cause, les électeurs se sont tournés vers un humoriste, Volodymyr Zelensky, héros d’une série télévisée dans laquelle il incarnait un professeur devenu président de la République malgré lui, pour diriger leur pays. Inexpérimenté mais entouré de quelques réformateurs sérieux, le président Zelensky s’est rapidement heurté à un Parlement dominé par la vieille garde ; il a donc convoqué des élections législatives anticipées, que son nouveau parti, Serviteur du peuple (c’était le nom de sa série télévisée), a remportées haut la main.

Un comédien et une star du rock

M. Zelensky a gagné son pari. Avec 42,4 % des voix, selon des résultats officiels encore partiels lundi matin, le nouveau président aura les coudées franches pour mettre en œuvre ses engagements. Il pourrait même disposer d’une majorité absolue en sièges, d’après les calculs des experts. S’il n’y parvient pas, le petit parti Holos (« la voix »), créé en mai par le chanteur de rock Sviatoslav Vakartchouk, un vétéran de la « révolution orange », qui a remporté 6,5 % des voix, sera un allié naturel.

L’ascension politique de deux artistes, un comédien et une star du rock, dans un pays aussi complexe que l’Ukraine, a de quoi étonner ; prenons-le comme un signe supplémentaire de la créativité d’une majorité d’électeurs ukrainiens, dans leur obstination à atteindre le but auquel ils aspirent. Leur verdict sur les expériences précédentes est clair : ni le parti du président Petro Porochenko, qui a lancé l’Ukraine sur la voie des réformes mais n’a pas su maîtriser la corruption, ni celui de l’ex-première ministre Ioulia Timochenko n’atteignent 10 % des voix. Le parti prorusse, soutenu par Moscou, devient le deuxième parti au Parlement, mais avec seulement 12,8 % des voix.

Le président Zelensky peut compter sur la bonne volonté de l’Union européenne. Le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel l’ont déjà reçu et souhaitent relancer sans tarder avec Moscou et Kiev le processus de Minsk en vue d’un cessez-le-feu, puis d’un règlement de la guerre dans le Donbass. Les bailleurs de fonds internationaux, FMI en tête, sont eux aussi bien disposés. Mais aucun de ces soutiens n’est inconditionnel. La balle est à présent dans le camp du « serviteur du peuple ». A lui et à l’équipe qu’il va composer pour le gouvernement de donner les gages de son sérieux dans deux domaines essentiels aux yeux de ses partenaires européens comme de ses électeurs : la lutte contre la corruption et la réforme du système judiciaire. Un premier signe déterminant en ce sens serait une prise de distance du président, nette et sans appel, avec le riche oligarque qui a soutenu sa campagne, Ihor Kolomoïsky.