Au Cameroun, coups de feu, saccage et incendie à la prison centrale de Yaoundé
Au Cameroun, coups de feu, saccage et incendie à la prison centrale de Yaoundé
Le Monde.fr avec AFP
Quatre personnes ont été blessées lors d’une violente mutinerie de prisonniers qui réclament de meilleures conditions de détention.
L’une des entrées de la prison centrale de Yaoundé, au Cameroun, en septembre 2017. / REUTERS
Coups de feu, saccage et incendie à la prison centrale de Yaoundé : les forces de sécurité camerounaises sont intervenues dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 juillet pour réprimer une mutinerie de détenus séparatistes et politiques qui protestaient contre leur détention en se filmant via Facebook.
« Il y a eu des tirs toute la nuit. C’était comme un feu d’artifice. Les tirs ont cessé à un moment », a déclaré à l’AFP un riverain, confirmant des informations relayées sur les réseaux sociaux.
Ces coups de feu tirés par les forces de sécurité visaient à empêcher des détenus de s’évader. Beaucoup se sont révoltés dans la nuit, saccageant et incendiant des services de l’administration pénitentiaire, selon des sources concordantes.
Mardi matin, les violences avaient cessé dans la prison, le calme prévalait aux abords du pénitencier, a constaté un journaliste de l’AFP. Un cordon de sécurité tenu par des militaires et policiers avait été installé. L’axe menant à l’entrée principale de la prison était bloqué à la circulation.
« Prise de la Bastille »
Plusieurs détenus ont été blessés, selon des sources proches de l’administration pénitentiaire. Parmi eux, l’ancien premier ministre, Inoni Ephraïm, et un ancien ministre, Urbain Olenguena Awono, pris pour cibles par d’autres détenus, ont été hospitalisés. La radio d’Etat camerounaise, la CRTV, a indiqué qu’il n’y a pas eu de morts ni d’évasions.
Une vidéo tournée pendant l’émeute de la nuit montre des détenus de la zone anglophone exultant pendant la mutinerie. Dans une ambiance crépusculaire, on y voit des détenus briser tout ce qui leur tombe sous la main, incendier certains locaux de la prison et chanter l’hymne séparatiste Ambazonia. L’un deux crie, en anglais : « Ils nous tirent dessus, ils veulent nous tuer ». Titre de l’une des vidéos : « Prise de la Bastille, la révolution est proche au Cameroun ».
Au matin, certains détenus considérés comme des leaders de la révolte ont été sortis de la prison pour une destination inconnue par les forces de l’ordre. « Ils ont enlevé Mamadou Mota – premier vice-président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (opposition) et certains anglophones, dont Mancho Bibixy, pour un lieu inconnu. Nous ne savons pas combien de personnes au total ont été sorties de la prison », a déclaré à l’AFP Me Christopher Ndong, secrétaire général du MRC et avocat de plusieurs détenus anglophones.
Beaucoup de détenus de la prison centrale de Yaoundé, opposants politiques et séparatistes anglophones, avaient commencé à manifester lundi après-midi, diffusant en direct sur Facebook leurs revendications, portant autant sur le changement de leur ration alimentaire que sur leur exigence de libération. « Nous ne voulons plus manger de maïs en bouillie », avait lancé, sous les applaudissements, Mamadou Mota, interpellé en juin puis écroué.
Dans une autre vidéo, on aperçoit des figures de la contestation anglophone comme Mancho Bibixy, interpellé dès l’éclatement du mouvement en 2016 puis condamné à quinze ans de prison pour « terrorisme ».
Amnesty International a réagi mardi, demandant aux autorités « de s’abstenir de recourir à une force excessive » et de « mener une enquête indépendante et efficace sur l’usage d’armes à feu et de balles réelles ». Le gouvernement, dans un communiqué, affirme « qu’aucun tir à balle réelle n’a été effectué durant l’intervention ». Selon lui, la bibliothèque, l’atelier de couture des femmes, le bureau du directeur de la discipline ont été incendiés, et 177 détenus « repérés parmi les meneurs » ont été remis à la police et à la gendarmerie.
« Les crises s’accumulent »
Connue sous le nom de Kondengui, la prison centrale de Yaoundé est surpeuplée. Prévue pour 1 500 personnes, elle en accueille plus du double, selon les estimations.
De nombreux militants de la cause anglophone arrêtés parfois dès l’éclatement de la crise en 2016 y sont incarcérés. Certains ont été condamnés à de lourdes peines de prison, d’autres attendent d’être jugés. « Les crises s’accumulent, cela fait de plus en plus de prisonniers dans une prison déjà surpeuplée », constate Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits de l’homme de l’Afrique centrale (Redhac).
Lundi, des tirs ont également été entendus par des témoins aux abords de la prison de Buéa, la grande ville du Sud-Ouest. Les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont confrontées à une violente crise sociopolitique depuis près de trois ans qui a dégénéré en conflit armé.
Le Cameroun connaît aussi des tensions politiques depuis la tenue de la présidentielle d’octobre 2018. Les résultats de ce scrutin remporté par Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, sont contestés par le principal opposant, Maurice Kamto, classé officiellement deuxième. M. Kamto est écroué depuis janvier, ainsi que nombre de ses partisans et soutiens.