Cimafunk : « J’ai commencé à chanter à l’église »
Cimafunk : « J’ai commencé à chanter à l’église »
Propos recueillis par Yannick Le Maintec
Il est la coqueluche du moment à Cuba. Il fait groover l’espagnol avec son funk « a lo cubano ». Rencontre avec Erik Iglesias Rodríguez alias Cimafunk.
Erik Iglesias Rodríguez alias Cimafunk / Karen Jann Vierbuchen
Nous avions rendez-vous dans le quartier de Port-Royal. Mon interlocuteur me propose d’aller dans un café plus abordable. Je suis un peu surpris. Comment ce jeune Cubain peut-il connaître les troquets du coin ? J’apprends d’Erik qu’il s’est installé à Paris il y a un plus de deux ans et que c’est là qu’il a enregistré son album.
On s’installe devant une bière. J’ai en face de moi un jeune homme d’à peine trente ans qui en paraît presque dix de moins, pas du tout impressionné par sa popularité naissante, les deux pieds bien posés sur la terre ferme.
Je demande à Erik où il a grandi, s’il vient d’une famille musicale. Il me raconte qu’il a grandi à Pinar Del Rio, dans la partie occidentale de Cuba, qu’il est autodidacte. Je lui fais : « On ne devient pas subitement chanteur à vingt ans ! » Il réfléchit. « J’ai commencé à chanter à l’église Bautista Libre, une église protestante. J’accompagnais ma grand-mère. On chantait des chants liturgique dans un chœur. J’ai fini par laisser tomber l’église. Ça n’était pas trop mon truc. »
En pension, il monte un premier groupe avec ses camarades. Ils font du reggaeton, jouent aux fêtes du lycée. Il se frotte également à la trova, la chanson traditionnelle cubaine. Quelques années plus tard, Erik entame des études de médecine qu’il abandonne pour se consacrer à la musique. A la Havane, il fait des petits boulots, devient choriste pour Raúl Paz, chante dans Interactivo, le collectif d’avant-garde de Roberto Carcassés, fonde Los Boys, un groupe qui rencontre un certain succès.
« D’où te vient la musique que tu joues ? » « Je me souviens quand j’étais en fac de médecine, j’écoutais O’funkillo, Amy Winehouse, Macaco, Jorge Drexler, Jack Johnson… J’ai beaucoup été inspiré par le chanteur de O’funkillo : la façon dont il pose sa voix sur la musique. Et puis j’ai vu un film de Jacky Chan et j’ai découvert James Brown ! » L’anecdote m’amuse. Erik garde son sérieux. « A partir de ce moment, je n’ai plus écouté que ça, encore, encore et encore ! Les live surtout… C’est devenu une obsession. Je cherchais à en savoir de plus, j’ai connu Funkadelic, Sly, George Benson, Maceo Parker, tout ! Prince, j’ai tellement écouté Prince… Sam & Dave, Take 6 aussi. » Je m’interroge. « Ça n’était pas encore si facile d’avoir accès à tout ça à Cuba, n’est-ce pas ? » « Je ne sais pas, c’est arrivé à moi. »
« Tu écris et composes des chansons populaires. Il faut un certain talent pour ça… » Erik réfléchit. « Je crois que j’ai énormément appris quand j’ai travaillé sur un bateau de croisière. » « Un bateau de croisière, vraiment ? » Il poursuit. « Pendant huit mois. On avait été embauchés pour jouer sur un bateau de croisière en Méditerranée. Il y avait tant de gens, des Canadiens, des Américains, des riches, des pauvres. Ils étaient là pour jouer au casino et le soir ils venaient écouter notre musique. Au début, la direction voulait qu’on joue de la musique traditionnelle à la manière traditionnelle. » « Chan Chan ? » « Ce genre de choses. On a essayé de jouer notre truc à nous, funky, quoi ! Quand ils nous ont entendus, les gens sont devenus fous. Ils réclamaient notre musique, alors les propriétaires ont lâché l’affaire. Ils nous ont laissés faire ce qu’on voulait. C’est au retour que j’ai décidé de me lancer. »
« Pour moi, il n’y a rien de plus important que le live. »
Voilà qui nous emmène à Paris. « J’ai commencé à travailler sur Terapia en février 2017 pour une sortie en octobre. » Il me raconte ses premiers concerts à l’Entrepôt, au Chinois. « Tu tournes maintenant avec un groupe cubain, comment les as-tu recrutés ? » « Ça a été beaucoup de travail. J’ai essayé six bassistes ! Trois batteurs. » « Tu es exigeant… » Lui, goguenard : « C’est ce qui me permet d’être relax ! » « Pour moi, il n’y a rien de plus important que le live. » « Si tu compares ce que vous jouez maintenant à ce que tu avais enregistré, quel est ton jugement ? » « On est arrivé à niveau largement supérieur. » Je tente d’aller le chercher. « Es-tu toujours satisfait de l’album, rétrospectivement ? » « Bien sûr ! Il représente ce que j’étais à ce moment-là. »
Erik Iglesias Rodríguez alias Cimafunk. / Marie Aureille
L’hiver dernier à La Havane, on pouvait entendre Me Voy à tous les coins de rue. A Jazz Plaza, Cimafunk a mis le feu au Pabellón Cuba. Pendant tout le festival, Il a été invité à faire des apparitions à gauche à droite. Je lui raconte qu’Omara Portundo a pris congé du public du Teatro Nacional en lançant « Me Voy Pa’Mi Casa ! ». Un peu surpris, il répond. « Si tu savais, c’était la folie. Tous les groupes finissaient avec ma chanson ! »
Quelques semaines plus tard, direction les USA pour une vingtaine de dates, dont un showcase au célèbre SXSW. « Tu as fait le Tipitina’s ! [le club mythique de la Nouvelle-Orléans] », lui fais-je admiratif. « Tout le monde me l’avait déconseillé. Ça sera vide, qu’on me disait. Je leur ai dit : On le fait. Il y a eu ce gars de la fondation Trombone Shorty. Il était venu me voir à Jazz Plaza. Il a tout arrangé pour me faire venir. J’arrive une heure avant le début du concert. Je jette un œil dehors : La rue était pleine de monde. Sold-out ! On a fait sold-out à New-York ! Sold-out à Washington ! C’était fou. On a énormément été soutenus. On y retourne : On va faire le Summer Stage [le festival d’été gratuit qui se joue dans les parcs de New York]. »
L’actualité de Cimafunk, c’est une nouvelle version de son titre Ponte Pa’Lo Tuyo avec la mythique chanteuse Juana Bacallao, José Luis Cortés (El Tosco) et Roberto Carcassés. Des projets, Erik en a plein la tête. Il est apparu au côté d’Alexander Abreu dans le nouvel album de Tony Succar. Il vient de faire un featuring dans un titre de Nube Roja et un autre de NG La Banda. Son nouvel album en ligne de mire. Il me glisse en guise de conclusion : « J’adorerais travailler avec le Preservation Hall Jazz Band ! »
Cimafunk : Terapia (2017, production indépendante)
En concert le 25 juillet à la Bellevilloise (Paris), le 27 juillet au Zic-Zac Festival (Aix) le 28 juillet au festival Tempo Latino (Vic-Fezensac), le 31 juillet au festival Jazz en Baie, le 1er août au Nuit du Sud de Vence, le 2 août au Festival du Bout du Monde (Crozon).