Horreur, apocalypse, voyous faussaires : une semaine au cinéma
Horreur, apocalypse, voyous faussaires : une semaine au cinéma
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
« Midsommar ». / A24
LA LISTE DE LA MATINALE
Et si vous profitiez de l’été pour aller au ciné ? Cette semaine, avec Midsommar, le cinéaste américain Ari Aster détourne le film d’épouvante pour proposer un voyage au cœur d’une psyché féminine blessée et le réalisateur philippin Lav Diaz explore dans Halte un avenir moins éloigné du temps présent qu’il n’y paraît. Autres options, Les Faussaires de Manhattan, comédie américaine de Marielle Heller ou Rêves de jeunesse d’Alain Raoust, un précipité désenchanté de la France contemporaine.
« Midsommar » : cérémonie pour odyssée intérieure
MIDSOMMAR | Official Trailer HD | A24
Durée : 02:39
La seule manière d’échapper à un sentiment de familiarité, au confort de la convention, à l’ennui qui s’impose dès qu’on s’imagine être confronté aux mécanismes d’un cinéma dit « de genre », est sans doute de multiplier les couches de récits, de brouiller les frontières du réel et de l’imaginaire, de mélanger différents registres d’images.
C’est ce que réussit avec talent le cinéaste Ari Aster avec son second long-métrage dont le récit débute abruptement. Dans la catastrophe et le malaise. La catastrophe, c’est la mort des parents de la jeune femme au centre du récit, Dani. C’est la sœur dépressive de celle-ci qui les a tués avant de se suicider. Le malaise, c’est la relation qu’entretient Dani avec son petit ami Christian, dont la fragilité va constituer un enjeu tout autant qu’une cause de suspense.
Dani se joint à un projet, initié par un ami de Christian, étudiant comme lui en anthropologie : passer, avec quelques-uns de leurs camarades, une partie de l’été au cœur d’une communauté rurale en Suède, et assister à une cérémonie particulière se déroulant tous les 90 ans. Le groupe de « touristes » a beau assister durant la première partie du film, dans un paysage verdoyant, à une série de rituels pastoraux et lénifiants, la menace est immédiatement palpable, l’appréhension tangible. La violence fera soudainement irruption durant l’enchaînement des rites païens auxquels les personnages assistent.
La profonde qualité du film d’Aster repose sur cette manière d’égarer un spectateur s’identifiant à des protagonistes peu sympathiques, plongés eux-mêmes au cœur d’un univers dont tout annonce qu’il pourrait devenir franchement hostile, voire mortel. J.-F. R.
« Midsommar », film américain d’Ari Aster. Avec Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter (2 h 20).
« Halte » : le futur apocalyptique de Lav Diaz
Trailer de Halte — Ang hupa subtitulado en francés (HD)
Durée : 00:58
Chez Lav Diaz, la poésie met à distance la barbarie du monde autant qu’elle la révèle, dans des films-manifestes à la beauté performative, qui dispensent de tout discours militant. Le cinéaste philippin est connu pour ses rythmes lents et la durée de ses plans, signe d’un désir puissant de témoignage pour cet ancien photographe et auteur de nouvelles hanté par l’histoire chaotique de son pays – un passé colonial, des dictatures successives, le tout ponctué de catastrophes dites naturelles qui ravagent régulièrement l’archipel.
Halte, treizième long-métrage du réalisateur né en 1958 sous le règne de Ferdinand Marcos, sort en salle en France, quelques jours après le séisme qui a secoué les îles du nord des Philippines, causant la mort de huit personnes et en blessant plusieurs dizaines d’autres.
Nous sommes en 2034. Trois ans que le soleil a disparu en Asie du Sud-Est, après des éruptions volcaniques dans la mer de Célèbes. Dans un noir et blanc induit par le scénario, le réalisateur installe un récit organique, kaléidoscopique autour de plusieurs personnages (et drones) aux trajectoires contrariées : un dictateur capable de jeter ses ennemis dans la gueule des crocodiles, une prostituée censée être plus performante que les robots sexuels, une historienne qui se donne pour mission de réactiver la mémoire d’un peuple qui s’est habitué à raser les murs et à répondre aux incessants contrôles d’identité…
L’intrigue peu à peu se noue, teintée d’une lueur qui évite au film de sombrer dans l’histoire cauchemardesque. Face au sanguinaire Nirv Navarra (Joel Lamangan), un groupe de résistants s’organise. L’un d’eux rencontre un enfant des rues et sa vie bascule. Cl. F.
« Halte », film philippin de Lav Diaz. Avec Piolo Pascual, Joel Lamangan, Shaina Magdayao (4 h 36).
« Les Faussaires de Manhattan » : rédemption par le crime littéraire
LES FAUSSAIRES DE MANHATTAN Bande Annonce (2019) Melissa McCarthy
Durée : 01:50
Au commencement, Julianne Moore devait tenir le rôle de Lee Israel dans l’adaptation du récit autobiographique qu’a laissé cette écrivaine, faussaire et New-Yorkaise, morte en 2014. Quelques semaines avant le tournage, début 2017, l’actrice se fâcha avec la réalisatrice Nicole Holofcener qui abandonna le projet, le laissant entre les mains de sa consœur Marielle Heller. Ces auspices cataclysmiques auraient dû engendrer, au mieux, un « film malade ». Or, Les Faussaires de Manhattan affiche une santé insolente, faite d’empathie et de lucidité, d’humour et de mélancolie.
Cette histoire de rédemption et de transgression trouve une incarnation idéale dans le formidable duo qui réunit l’une des dernières stars de la comédie populaire américaine, Melissa McCarthy, et Richard E. Grant, acteur britannique d’expérience, de ceux dont on se demande au hasard d’un petit rôle s’il trouvera un jour emploi à la mesure de son talent.
La première incarne Lee Israel, plumitive quinquagénaire, qui titube d’échec en échec, après avoir été une journaliste à succès. La seule solution qu’elle ait trouvée à sa misère morale et matérielle – l’écriture et la publication d’une biographie de Fanny Brice, l’artiste de music-hall qui a inspiré Funny Girl – se heurte à l’indifférence des éditeurs. Après avoir été tancée et découragée par son agent (Jane Curtin), elle se résout à vendre son seul trésor, une lettre autographe de Katharine Hepburn. Au même moment, elle croise dans un bar de Greenwich Village une vieille connaissance. Jack Hock est gay (comme Lee Israel), séropositif et sans domicile. Richard E. Grant en fait un farfadet vieillissant, aussi drôle que dépourvu de scrupules. Quand l’idée de fabriquer de fausses lettres autographes traverse l’esprit de Lee Israel, elle trouve en Hock un complice parfait. J. M.
« Les Faussaires de Manhattan », film américain de Marielle Heller, avec Melissa McCarthy, Richard E. Grant, Jane Curtin (2018, 1 h 42).
« Rêves de jeunesse » : Parenthèse estivale dans une décharge
Rêves de jeunesse Bande annonce
Durée : 01:26
Salomé (l’excellente Salomé Richard), étudiante en ébénisterie, revient le temps d’un été dans le village des Alpes-de-Haute-Provence de son enfance, pour y travailler comme gardienne dans une déchetterie. Sur place, elle se retrouve livrée à elle-même au milieu d’une grande esplanade baignée de soleil et semée de trois bennes, sans autre logement valide qu’un van abandonné.
Ce cul-de-sac isolé devient l’escale improvisée de personnages en transit, tous aussi désorientés les uns que les autres. L’éruptive Jessica (Estelle Mayer), candidate hors piste d’un jeu de télé-réalité, suivie par Clément (Yoann Zimmer), jeune homme ténébreux dont le frère aîné a perdu la vie dans une ZAD , puis par un cycliste suicidaire (Jacques Bonnaffé) qui ne se pardonne pas d’avoir un jour cédé au vote d’extrême droite.
Rêves de jeunesse, quatrième long-métrage d’Alain Raoust, vaut pour sa capacité à brasser les registres : excentricité comique, tendresse romantique, sensualité élégiaque… Puisqu’il n’est question ici que de trouver sa place, le film applique le principe à la lettre et laisse ses personnages déployer leur singularité, sans les enfermer dans une dramaturgie trop directive. Au risque parfois de ne tenir à pas grand-chose et d’accueillir des passages beaucoup plus inégaux.
Ce côté un peu bancal, décoiffé, est aussi ce qui fait le charme de Rêves de jeunesse. Après tout, ses personnages ne sont pas réunis pour appliquer un programme, fût-il politique, mais pour occuper au mieux cette parenthèse estivale : se réconforter, panser les plaies, éventuellement s’aimer, en tout cas faire un petit bout de chemin ensemble. Ma. Mt.
« Rêves de jeunesse », film français d’Alain Raoust. Avec Salomé Richard, Yoann Zimmer, Estelle Meyer (1 h 32).