La fuite de la princesse Haya vers Londres fait craindre des tensions entre Dubaï et la Grande-Bretagne
La fuite de la princesse Haya vers Londres fait craindre des tensions entre Dubaï et la Grande-Bretagne
Cela aurait pu être une affaire conjugale comme il y en tant d’autres, si elle n’entachait le plus haut sommet des Emirats arabes unis et la réputation de son premier ministre.
La princesse Haya Bint al-Hussein arrive à la Haute Cour de justice de Londres, mardi 30 juillet. / Alastair Grant / AP
C’est le genre d’histoires de princesse que l’on ne raconte pas aux enfants. Depuis plus d’un mois, la princesse Haya de Jordanie a fui son émir de mari, le souverain de Dubaï Mohammed Ben Rached al-Maktoum, qui est également vice-président, premier ministre et ministre de la défense des Emirats arabes unis. Réfugiée à Londres avec ses deux enfants de 7 et 11 ans, ses valises et quelque 34,5 millions d’euros, la sixième épouse du richissime dirigeant émirati a demandé à la justice britannique des mesures de protection exceptionnelles, faisant craindre des tensions diplomatiques accrues.
Mardi 30 juillet, le juge aux affaires familiales de la Haute Cour de justice de Londres a écouté les demandes de cette femme de 45 ans, fille du défunt roi Hussein de Jordanie. Lors de cette audience, qui s’est tenue à huis clos et avec des restrictions quant à sa diffusion publique, relate le quotidien britannique The Guardian, Haya Bint al-Hussein a demandé à bénéficier d’une mesure de protection contre un mariage forcé qui pourrait concerner l’un des deux enfants du couple. La princesse a également demandé une mesure de protection contre des brutalités et réclamé la garde de ses enfants.
« Vivante ou morte, peu m’importe »
L’affaire aurait pu en rester à un contentieux conjugal comme il en existe des centaines de milliers dans le monde, s’il n’entachait le plus haut sommet des Emirats arabes unis et la réputation de Mohammed Ben Rached al-Maktoum, 70 ans. Ce dernier n’a pas caché sa haine à l’égard de celle qu’il a épousée en 2004, y compris sur Instagram, où il a publié un poème se concluant par : « Vivante ou morte, peu m’importe. Tu n’as plus ta place dans ma vie. Pars avec qui tu veux. » Une accusation tacite d’adultère qui pourrait servir à jeter le discrédit sur Haya Bint al-Hussein et dédouaner sa parole.
Dans ce dossier exceptionnel, tout fait en effet l’objet d’une homérique bataille de communication. Nulle surprise, donc, si la princesse Haya, qui a fait ses études dans la prestigieuse université d’Oxford, a choisi pour avocate Fiona Shackleton, connue pour avoir représenté le prince Charles, héritier du trône britannique, lors de son divorce avec la princesse Diana. Mohammed Ben Rached al-Maktoum est, lui, représenté par Helen Ward, qui avait représenté le réalisateur britannique Guy Ritchie lors de son divorce avec la chanteuse américaine Madonna.
Après deux jours d’auditions préliminaires, la Haute Cour de justice de Londres a annoncé la tenue d’un procès pour le 11 novembre. D’ici là, nul doute que les deux protagonistes continueront à fourbir leurs armes, notamment pour obtenir la garde des deux enfants, Jalia, 11 ans, et Zayed, 7 ans.
Troisième princesse en exil
Car Haya Bint al-Hussein a assurément le pouvoir de ternir un peu plus l’image du vice-président, premier ministre et ministre de la défense des Emirats arabes unis. Plusieurs militants des droits de l’homme qui œuvrent à Dubaï espèrent ainsi que la dirigeante en fuite profitera de l’occasion pour faire des révélations sur certaines affaires ayant déjà conduit deux femmes de la famille à s’enfuir.
A l’été 2000, Shamsa al-Maktoum, l’une des vingt-trois enfants de l’émir, avait profité d’un séjour en Angleterre pour tenter l’exil, du haut de ses 17 ans. Elle avait été rattrapée rapidement par des proches et renvoyée de force à Dubaï, où elle n’est pas reparue en public depuis.
Dix-huit ans plus tard, c’est sa sœur cadette, Latifa, qui avait à son tour tenté de s’échapper. La princesse, âgée de 32 ans, avait embarqué sur un yacht privé à destination de l’Inde, avant que le navire ne soit arraisonné par des militaires indiens qui l’avaient restituée à son pays malgré des accusations de mauvais traitements que lui aurait infligés son père.
Depuis, la jeune femme a, elle aussi, quasiment disparu des écrans radar. Régulièrement, on la dit objet de sévices et de rétention forcée. A Noël dernier, des photographies l’avaient toutefois montrée aux côtés de l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson, le regard légèrement fuyant. Une « opération photo totalement orchestrée », lors de laquelle la princesse Latifa était apparue « hébétée » et « sous sédatifs », selon Radha Stirling, la présidente de l’organisation Detained in Dubai, basée à Londres, qui tente d’aider juridiquement les victimes d’injustice aux Emirats.
« A la fois une victime et un témoin »
« Latifa aurait subi des abus indicibles de la part du cheikh Mohammed et n’avait pas d’autre choix que de s’échapper. Haya s’est apparemment retrouvée dans la même situation. Heureusement pour elle, elle a réussi à s’enfuir », avait déclaré Mme Stirling, début juillet, dans un communiqué. Elle avait estimé que la princesse Haya « est à la fois une victime et un témoin ». « Nous espérons donc qu’elle restera en sécurité et qu’elle coopérera avec les autorités internationales pour révéler les abus présumés perpétrés derrière les portes du palais royal de Dubaï », avait-elle ajouté.
De son côté, l’émir de Dubaï entend bien faire monter la pression sur son épouse. Comme le rappelle le quotidien israélien Haaretz, traduit par Courrier international, le dossier risque en effet de prendre un tour diplomatique et pourrait constituer une « bombe à retardement politique » entre les Emirats arabes unis et la Jordanie.
Haya est, en effet, la demi-sœur du souverain jordanien, le roi Abdallah II. Or ce dernier « sait que la moindre remarque déplacée pourrait causer préjudice aux 200 000 Jordaniens qui travaillent aux Emirats arabes unis, tarir l’aide financière qu’il reçoit du pays et bouleverser le fragile équilibre diplomatique entre la Jordanie et les Etats du Golfe », rappelle le quotidien israélien.
Quitte à abandonner à son sort d’exilée sa demi-sœur ? « Je me suis senti parmi les miens », a écrit la semaine passée sur Twitter le souverain jordanien à l’issue de sa visite à Abou Dhabi, le 28 juillet. Il a aussi précisé vouloir « maintenir des liens entre les deux pays et les deux peuples frères ».