La renaissance en Italie de Matera, cité taillée dans la pierre
La renaissance en Italie de Matera, cité taillée dans la pierre
Par Audrey Fournier
Arte consacre une soirée spéciale à cette perle du Mezzogiorno, berceau de la « cucina povera » et capitale européenne de la culture 2019.
Depuis près de vingt ans, « Cuisines des terroirs » explore sur Arte les liens qui unissent intimement la terre et ses habitants. En ce milieu d’été, à l’occasion d’une soirée spéciale, les caméras de l’émission se sont posées dans la petite ville italienne de Matera. Située en Basilicate, dans le sud de la Botte, cette cité troglodytique inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco a été désignée capitale européenne de la culture pour 2019. L’occasion pour les téléspectateurs de (re) découvrir les charmes de cette région longtemps très pauvre, à laquelle le tourisme offre depuis les années 1990 un renouveau salutaire, tout en exigeant des habitants une adaptation à marche forcée.
« Cuisines des terroirs » a la particularité de s’inviter à la table des locaux pour mieux filmer la préparation des repas familiaux, écouter les anecdotes des aïeux et faire découvrir des ingrédients régionaux dans leur forme la plus brute. Berceau de la cucina povera, célèbre pour son art de sublimer les produits les plus simples – pain, pâtes, abats –, la Basilicate est par ailleurs connue pour la qualité de ses fruits et légumes. Défendue bec et ongles par des artisans passionnés, la gastronomie locale fait la part belle aux ragoûts et aux plats cuits au four, et évite le gaspillage : la croûte du parmesan va dans la marmite avec le reste.
Une famille dînant sur sa terrasse, à Matera. / Frederik Klose-Gerlich
Tout cela pourrait fleurer bon la nostalgie et le conservatisme, si l’émission ne prenait pas soin d’inscrire ce terroir dans le monde qui l’entoure. Ce numéro nous montre ainsi une mère de famille, travailleuse sociale par ailleurs, animant des ateliers de cuisine avec deux hommes d’origine africaine (« nos nouveaux amis »), vraisemblablement des migrants – même si cela n’est jamais dit –, qui rappellent que cette région a vu ces dernières années débarquer sur ses côtes de nombreux Zodiac surchargés de réfugiés. Comment s’adapter aux changements du monde, transmettre des traditions et utiliser la cuisine comme facteur d’intégration : tels sont les défis exposés par cette émission courte (26 minutes), mais, comme souvent, très réussie.
Une ville autrefois opulente
Celle-ci ouvre une soirée entièrement consacrée à la cité taillée dans la pierre, dont on découvrira l’histoire et la géographie très particulières dans un documentaire inédit, « Matera, la perle cachée ». Comptant parmi les plus anciennes villes de monde, alimentée naturellement en eau grâce à la porosité des monts voisins et à un ingénieux système de collecte, Matera fut autrefois opulente. Refuge de religieux ayant fui l’Orient devenu musulman, elle est entourée d’églises rupestres décorées de superbes fresques, dont les plus anciennes remontent au IXe siècle.
Ce riche passé a été longtemps éclipsé par le déclin économique de la région : au début du XXe siècle, les troglodytes sont devenues des grottes sordides dans lesquelles s’entasse une population extrêmement démunie. Les photographies prises dans l’entre-deux-guerres montrent des rues en terre battue et des sassi (les maisons traditionnelles) qui tiennent debout grâce à des étais. Le documentaire donne la parole – pas assez, à notre goût – aux derniers témoins de cette époque, qui racontent comment un vaste programme de relogement à l’extérieur de la ville a permis aux habitants de Matera de sortir de la pauvreté à partir des années 1950. Avec pour corollaire malheureux la transformation de Matera en « ville morte » pendant quelques décennies. Elle inspirera néanmoins Pasolini, qui y tournera dans les années 1960 certaines scènes de L’Evangile selon saint Matthieu, préférant la Basilicate à la Palestine. Il faudra toutefois attendre les années 1990 pour que la réhabilitation de l’habitat traditionnel, véritable « palimpseste culturel », soit lancée, et que la vieille ville, devenue un repaire de petits délinquants, soit rendue à ses habitants et ouverte au tourisme, devenu florissant.
Malgré un ton parfois pontifiant – les considérations vagues sur la spiritualité des lieux n’apportent pas grand-chose et donnent l’impression de vouloir « meubler », alors qu’il y a tant à dire ! –, ce documentaire nous fait agréablement voyager dans cette région tiraillée entre un passé sombre et un futur à la fois lumineux et effrayant. « A tous les coups, ils vont en faire une chambre d’hôtes », soupire ainsi un habitant lorsqu’il visite le sasso de son enfance, dont on devine qu’il vient d’être vendu.
Cette soirée estivale constitue néanmoins une belle occasion d’admirer les couleurs retrouvées de Matera, qui seront mises en valeur dès 20 heures 55 avec la transmission, en direct et en plein air, de l’opéra Cavalleria rusticana, de Pietro Mascagni, par les chœurs du Teatro San Carlo de Naples.
« Cuisines des terroirs. Matera », réalisé par Stefanie Fleischmann (All., 2019, 26 min). Suivi de Matera, la perle cachée, réalisé par Alessandro Soetje (All., 2019, 52 min) et de Cavalleria rusticana, mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti.
arte.tv/fr/cuisines-des-terroirs