Inquiétudes sur l’indépendance de la Réserve fédérale
Inquiétudes sur l’indépendance de la Réserve fédérale
LE MONDE ECONOMIE
Dans une tribune commune, quatre anciens présidents de la Fed mettent en garde contre les pressions politiques exercées sur l’institution.
Le président Donald Trump reçoit Jerome Powell à la Maison Blanche lorsque ce dernier est nommé président de la Réserve fédérale américaine, le 2 novembre 2017. / Carlos Barria / REUTERS
Pour certains, elle est déjà largement compromise. Pour d’autres, elle tient encore tête, mais pour combien de temps ? Depuis plusieurs mois, analystes, économistes et universitaires de haut vol s’inquiètent pour l’indépendance de la Réserve fédérale américaine (Fed) menacée, selon eux, par la pression politique croissante exercée par Donald Trump. De fait, le président républicain n’a eu de cesse de critiquer l’institution depuis son élection. Il lui reproche, notamment, de maintenir des taux d’intérêt qu’il juge trop élevés.
Lundi 5 août, alors que les tensions commerciales entre Pékin et Washington se sont doublées de la menace d’une guerre des monnaies, quatre anciens présidents de la Fed ont exprimé leurs vives préoccupations sur le sujet. « En tant qu’anciens présidents du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, nous sommes unis par la conviction que la Fed et son président doivent être autorisés à agir de manière indépendante et dans l’intérêt de l’économie, libres de toute pression politique à court terme et, en particulier, sans la menace de révoquer ou reléguer des dirigeants de la Fed pour des motifs politiques », ont écrit Paul Volcker (président de la Fed de 1979 à 1987), Alan Greenspan (1987-2006), Ben Bernanke (2006-2014) et Janet Yellen (2014-2018), dans une tribune publiée par le Wall Street Journal.
Une rare intervention
Ce genre d’intervention commune, émanant de personnalités de sensibilités différentes, est rare. En conclusion, les anciens présidents insistent :
« Il est essentiel de préserver la capacité de la Fed de prendre des décisions fondées sur les intérêts supérieurs de la nation, et non sur les intérêts d’un petit groupe de politiciens. »
Le 31 juillet, en baissant ses taux directeurs pour la première fois depuis 2008, la Fed a donné le sentiment de céder en partie aux pressions de M. Trump. Lundi 5 août, ce dernier a de nouveau mentionné la banque centrale sur Twitter, en accusant la Chine de manipuler sa monnaie : « Vous entendez, la Réserve fédérale ? » Quelques jours plus tôt, il estimait que les Etats-Unis « devraient répondre », plutôt que de « continuer d’être les imbéciles assis poliment et regardant les autres pays jouer leur jeu ».
Relativement récente, l’indépendance des grandes banques centrales a été instaurée dans la foulée des chocs pétroliers des années 1970. Avec un objectif clair : assurer l’efficacité de la lutte contre l’inflation en les soustrayant à l’influence du pouvoir politique. Non élus, les banquiers centraux sont libres de prendre des mesures impopulaires pour éviter l’emballement des prix et limiter les excès du système financier – par exemple, en relevant le loyer de l’argent. Cette liberté est essentielle pour instaurer leur crédibilité auprès des marchés, sans quoi leurs mesures ne peuvent fonctionner.
Eviter les excès d’autrefois
En 1998, la Banque centrale européenne (BCE) est née sur le modèle de la Bundesbank allemande, elle-même forgée à l’après-guerre pour éviter les excès d’autrefois. En particulier ceux des années 1920, lorsque la banque centrale, obéissant au politique, fit massivement tourner la planche à billets pour rembourser plus vite la dette de guerre… Ce qui déclencha une hyperinflation douloureuse pour les Allemands.
L’indépendance des instituts monétaires est aujourd’hui remise en cause par nombre de mouvements populistes ou nationalistes. Début juillet, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a limogé le gouverneur Murat Cetinkaya, qui avait levé les taux d’intérêt pour enrayer la chute de la livre turque. Dès son arrivée, son remplaçant, Murat Uysal, s’est empressé de baisser le taux de 24 % à 19,75 %, comme l’exigeait le président.