La police chilienne devant la justice après la mort d’un jeune activiste mapuche
La police chilienne devant la justice après la mort d’un jeune activiste mapuche
Par Paloma Dupont de Dinechin
Camilo Catrillanca est tué en novembre 2018 d’une balle dans la nuque. Sept policiers et l’avocat des forces spéciales sont mis en accusation.
Des manifestants mapuche et des défenseurs des droits de l’homme manifestant à Santiago, le 15 novembre, après la mort de Camillo Catrillanca. / MARTIN BERNETTI / AFP
Camilo Catrillanca est un jeune Mapuche de 24 ans. Il conduit un tracteur bleu, accompagné d’un autre Mapuche de 14 ans. Alors que Camilo Catrillanca est désarmé, un groupe de policiers lui barre la route puis lui tire dessus. Le jeune homme reçoit une balle dans la nuque et décède quelques minutes après. C’est ce que montrent trois vidéos datant du 14 novembre 2018 et rendues publiques un mois plus tard par un média d’investigation chilien, le Centre d’enquête et d’information journalistique (Ciper). Et ces films sont rapidement devenus viraux.
Deux heures après la mort du jeune homme, la police chilienne avait publié un rapport dans lequel elle avait soutenu la thèse d’un « affrontement » lors d’une opération spéciale des forces de l’ordre. Une version reprise par le gouvernement.
Vendredi 9 août, sept policiers ayant participé à l’opération de police et démis depuis de leurs fonctions devaient être auditionnés par le tribunal de Collipulli, en Araucanie, région boisée du sud du pays où habite la majorité des indigènes mapuche. Ces auditions visent à préparer le procès du meurtre de Camilo Catrillanca, dont la date est pour l’heure inconnue. Les chefs d’accusation n’ont pas encore été définis.
Cristian Inostroza, l’avocat du groupe d’opérations policières spéciales (GOPE), les forces spéciales de la police, dont fait partie le commando intervenu le 14 novembre, doit également comparaître, accusé de « dissimulation de preuves ».
« Nous avons donné de fausses déclarations »
Le 2 décembre 2018, alors qu’il se trouvait en détention depuis six jours, le responsable présumé du tir mortel sur Camilo Catrillanca, Carlos Alarcon, avait publié une vidéo sur les réseaux sociaux, dans laquelle il accusait ses supérieurs – dont l’ex-chef des forces spéciales Manuel Valdivieso et Me Cristián Inostroza – de l’avoir obligé à mentir lors de sa première déposition. « Nous avons donné de fausses déclarations », dénonçait-il dans la vidéo.
Auditionné le lendemain, à la suite de la publication de sa vidéo, Carlos Alarcon reconnaît que Camilo Catrillanca et le jeune homme qui l’accompagnait étaient désarmés. Le matin de la mort du jeune homme, un vol de trois véhicules avait été déclaré dans l’école rurale Temucuicui, à Ercilla, une commune de l’Araucanie. Un impressionnant dispositif policier avait alors été déployé pour poursuivre les voleurs présumés – un hélicoptère et une vingtaine de véhicules.
Soupçonné d’être l’un des voleurs, Camilo Catrillanca a été pris en chasse alors qu’il conduisait un tracteur. M. Alarcon affirme lui avoir donné l’ordre de s’arrêter. Selon lui, le jeune homme n’aurait pas obtempéré. Le policier aurait alors tiré et l’aurait touché accidentellement. « L’adrénaline (…) m’a poussé à aller plus loin que ce qui était nécessaire », s’excuse-t-il.
Dès le lendemain, des manifestants, dans plusieurs villes du pays, avaient réclamé que la lumière soit faite sur la mort du jeune homme. Deux jours après la publication des vidéos par le Ciper, le 21 décembre 2018, le président chilien, Sebastian Piñera, s’était vu obligé de démettre de ses fonctions le général Hermes Soto, chef de la police. Le général avait déclaré qu’il n’existait pas de vidéo de l’opération de police dans laquelle Camilo Catrillanca avait perdu la vie.
L’avocat des policiers, Javier Jara, avait déclaré le lendemain de la publication des vidéos qu’il n’y avait pas eu « d’intention d’homicide » puisque Camilo Catrillanca n’avait pas été « criblé de balles ». Il estimait également que la balle avait « rebondi » sur le tracteur. Une version infirmée par le rapport balistique de la police criminelle, qui dément que la balle ait pu « faire un tour de 90 degrés ».
La police plongée dans une crise institutionnelle
Consuelo Contreras, présidente de l’Institut national des droits humains (INDH), est catégorique : « Il n’y avait pas qu’une seule balle sur le tracteur, mais vingt-trois. Pendant l’opération, les policiers ont échangé les balles de caoutchouc pour des balles réelles et les tireurs étaient des professionnels. »
Depuis ces révélations, la police est plongée dans une crise institutionnelle. Le « Comando Jungle » dont les policiers incriminés dans l’affaire Catrillanca faisaient partie, est particulièrement critiqué. Ce commando du GOPE, qui s’est entraîné en Colombie à la lutte antiterroriste, est déployé exclusivement dans ce qui est communément appelé la zone « rouge » de l’Araucanie, pour les conflits réguliers qui y ont lieu entre les forces de l’ordre et les Mapuche.
Ces derniers, qui considèrent que leurs terres, exploitées par des compagnies forestières privées dans la région, ont été usurpées, y mènent régulièrement des actions pour les récupérer. Des actions qualifiées « d’actes terroristes » par le président Piñera. Dès l’âge de 17 ans, Camilo Catrillanca avait été à la tête de ces opérations dans la commune d’Ercilla. Il avait organisé l’occupation de son lycée. Fils d’un lonco, chef mapuche, il était d’une famille influente dans la communauté indigène.
Son père, lui-même militant actif de la cause mapuche, considère que c’est à ce titre que Camilo a été tué. L’objectif principal des policiers, soutient-il, « était d’assassiner quelqu’un de Temucuicui », zone de l’Auracanie particulièrement engagée dans la récupération de terres.
Ce n’est pas la première fois que des effectifs des forces spéciales sont poursuivis par la justice. En septembre 2017, la Cour suprême avait lancé une procédure contre des policiers pour « manipulation de preuves » à la suite de la détention de huit leaders « mapuche » accusés de participer à des incendies criminels. La police avait fourni comme preuve des conversations WhatsApp qui, selon elle, justifiaient « une action préventive ». Mais il s’est avéré que les conversations avaient été manipulées.