Des pingouins envahissent une petite ville. / WILD BUNCH DISTRIBUTION

L’AVIS DU « MONDE » - À VOIR

Dans un été riche en animation japonaise (quatre films sortis depuis six semaines), Le Mystère des pingouins ajoute une nouvelle pièce, remarquable, au panorama qui se dessine de la création actuelle, largement défriché en amont par la dernière édition du Festival d’Annecy. Le film est l’œuvre d’un jeune animateur, Hiroyasu Ishida, né en 1988, qui s’est précocement fait connaître en publiant sur sa page YouTube, sous le pseudonyme « Tete », toute une série de courts-métrages originaux et poétiques, dont le drôlissime La Confession de Fumiko (2009) qui lui a valu de récolter, à l’âge de 21 ans seulement, et alors qu’il était encore étudiant à l’université de Kyoto Seika, un beau bouquet de récompenses. Son premier long-métrage, le premier également produit par le Studio Colorido, est l’adaptation du roman de science-fiction Penguin Highway (2010), de Tomihiko Morimi, d’où il tire son univers à la fois quotidien et farfelu, ici clairement rééquilibré à destination d’un public enfantin.

Son trait fin et rond, ses couleurs quotidiennes, son cours imprévisible, son humour léger, parachèvent cette esthétique résolument non tapageuse

Dans une petite ville comme beaucoup d’autres, une invasion de pingouins inexpliquée suscite l’étonnement de la population et pique la curiosité de l’élève Aoyama, enfant surdoué et plongé dans l’étude des sciences, qui décide d’enquêter sur cet étrange phénomène. Avec l’aide de deux amis de sa classe, il découvre que les animaux suivent un même sentier à travers la forêt, les menant vers une prairie isolée où gît en lévitation une étrange sphère aqueuse, qui semble réagir à la présence humaine. Aoyama entraîne également dans sa recherche l’assistante du cabinet dentaire voisin, avec laquelle il s’entend bien et joue régulièrement aux échecs après les cours. Secrètement sensible à ses charmes, il se rend compte qu’elle n’est pas pour rien dans l’apparition des pingouins, créatures artificielles issues de la métamorphose de n’importe quel objet courant.

Avec malice et douceur

Le Mystère des pingouins pratique ainsi un réjouissant mélange des genres, entre chronique enfantine à l’environnement très familier – ces territoires déjà bien balisés que sont les petites villes, la classe, la maison familiale –, un récit d’investigation geek agitant des notions scientifiques et, enfin, sa poésie surréaliste qui s’assume comme telle, sans en recourir à l’argument massue du merveilleux. Hiroyasu Ishida opte pour une mise en scène transparente, étonnamment peu stylisée, en fait proche de ses personnages, sachant prendre son temps, varier les situations et donner de l’assise à sa fantaisie. Son trait fin et rond, ses couleurs quotidiennes, son cours imprévisible, son humour léger, parachèvent cette esthétique résolument non tapageuse, qui consiste en quelque sorte à « naturaliser » l’extraordinaire.

A travers la quête d’Aoyama et les figures extravagantes qu’elle mobilise (des monstres cauchemardesques nommés « Jabberwocks »), le film s’attache à un motif peu courant, à savoir l’attirance du garçon pour une femme adulte (aux formes plantureuses) et la relation affective qui les lie par-delà la différence d’âge. Là encore, Ishida se garde bien de verser dans le scabreux, mais aborde avec malice et douceur ces premiers émois physiques de la tendre adolescence. Toute la part fantastique du film peut être ramenée à cet amour hors-norme. Pingouins, monstres et sphère ne sont peut-être pas autre chose que les ressorts sublimés d’une puberté en éveil, un cheminement possible de l’adolescent vers une sensualité encore inaccessible.

Au cœur du système symbolique du film trône l’eau, élément protéiforme générant des bataillons de créatures chimériques, mais pouvant retomber d’un instant à l’autre au sol comme une flaque ou un rêve trop vite évaporé. La plus belle scène du film n’est autre qu’un voyage énigmatique au cœur de la sphère aqueuse, où les personnages découvrent une ville incohérente, digne des constructions de Maurits Cornelis Escher, et renouent également avec leurs propres souvenirs enfouis. Porteur de l’animisme caractéristique de l’animation japonaise, Le Mystère des pingouins n’hésite pas à frayer avec le mystère intime et métaphysique, se montrant ainsi capable de stimuler aussi bien le jeune public que les parents qui l’accompagnent.

LE MYSTÈRE DES PINGOUINS - Bande-annonce VOST (Version Longue)
Durée : 01:26

Film d’animation japonais d’Hiroyasu Ishida (1 h 48).