Morton, Mississippi, ville dévastée par les raids contre les travailleurs sans papiers
Morton, Mississippi, ville dévastée par les raids contre les travailleurs sans papiers
Par Maureen Songne
Les opérations menées par l’Agence de contrôle de l’immigration ont conduit à l’arrestation et au licenciement de 450 personnes, soit plus de 10 % de la population de cette petite ville.
Deux personnes sont arrêtées devant l’usine Koch Foods dans la matinée, mercredi 7 août, lors d’une opération policière de grande ampleur dans le MIssissipi. / ROGELIO V. SOLIS / AP
A PH Food, un des producteurs de volailles touchés par l’impressionnante vague d’arrestations de travailleurs sans papiers effectuées mercredi 7 août dans le Mississippi, la stupeur règne dans les rangs des employés qui comptaient retourner travailler. Une semaine après ce raid mené par des fonctionnaires de l’immigration américains, un manageur a annoncé que seule une douzaine d’entre eux étaient autorisés à reprendre le travail. Tous les autres, soit une centaine d’employés, ont été licenciés sur-le-champ, rapporte le magazine en ligne américain Slate.
Ce licenciement de masse s’est déroulé mardi 13 août, une semaine après plusieurs opérations policières simultanées menées par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement – l’Agence de contrôle de l’immigration) dans sept usines de transformation de poulet au cœur du Mississippi, à l’occasion desquelles 680 travailleurs sans papiers avaient été arrêtés. Il s’agissait de l’opération policière la plus importante contre l’immigration clandestine depuis au moins une décennie.
Rien qu’à Morton, petite ville d’à peine 3 400 habitants, ils sont 450 à avoir perdu leur travail entre les arrestations et les licenciements, soit plus de 10 % de la population. Un coup de tonnerre qui n’est pas sans conséquences sur les communautés locales et l’économie de la région.
« C’est le travail qu’aucun d’entre nous ne veut faire »
Le Mississippi est en effet le cinquième Etat américain producteur de volailles, et deux des producteurs visés par les raids, Koch Foods et Peco Foods, sont classés parmi les plus importants producteurs au niveau national, explique le Washington Post. Or, la main-d’œuvre de l’industrie de la volaille a toujours eu une histoire fortement liée aux questions ethniques et à l’immigration.
« Il y a du sang de poulet par terre. Les ouvriers doivent couper les poulets en morceaux. Puis ils mettent ces morceaux sous vide. C’est une tâche fastidieuse. Les usines de production de volaille sont des abattoirs. C’est un travail qu’aucun d’entre nous ne veut faire », expliquent au Time Victor Narro et L. Patricia Ice, qui travaillent pour des associations venant en aide aux immigrés.
Dans une étude publiée en 2009, Latino Immigrants and the Transformation of U.S. South, Angela C. Stuesse résume l’évolution ethnique de la main-d’œuvre de ce secteur :
« Alors que les Blancs et – plus tard – les Afros-Américains étaient la main-d’œuvre historique de l’industrie de la volaille, les Latinos constituent aujourd’hui la majorité des travailleurs. En 2000, les Latinos représentaient 29 % des ouvriers dans le secteur de la viande, et 82 % d’entre eux étaient nés à l’étranger. A l’échelle nationale, 50 % des 250 000 ouvriers qui travaillent dans l’élevage de volaille sont des immigrés. Ce phénomène a causé des changements culturels et sociétaux de taille dans les communautés rurales du Sud. »
Les raids contre les travailleurs sans papiers ont touché sept autres producteurs de volailles dans le Mississippi et menés à 680 arrestations. / ROGELIO V. SOLIS / AP
« Allons-nous devenir une nation sans lois ? »
Les Latinos de Morton, cibles des raids de l’ICE, sont installés depuis longtemps dans la région. Aux yeux d’une partie de la population, ils ont redonné vie à des communautés laissées à l’abandon, rempli les salles de classes et dynamisé l’économie locale. Aussi certains habitants s’inquiètent-ils des conséquences de ces opérations coup de poing.
« S’ils expulsent tous les clandestins de la ville, nous aurons de gros problèmes », s’inquiète sur Slate Martha Rogers, la directrice de la Banque de Morton : « Je suis pour le contrôle de ceux qui entrent dans le pays. Mais pour les gens qui sont déjà ici, qui ont du travail et qui contribuent à l’économie ? Il devrait il y avoir une possibilité d’avoir des papiers. Je ne comprends pas comment ils peuvent penser que la situation actuelle est meilleure. Pour qui est-elle meilleure ? »
Après le licenciement de la centaine d’employés de PH Food, une manifestation spontanée a eu lieu sur le parking de l’entreprise. « Nos parents ne sont pas des criminels », « Nous sommes tous frères et sœurs, nous sommes des êtres humains », pouvait-on lire en anglais sur les affiches.
La plupart des participants étaient des membres des familles des ouvriers arrêtés, dont les enfants sont pour la plupart nés sur le sol américain. Les raids ont en effet laissé derrière eux des familles déchirées, dont certains membres seront autorisés à demeurer sur le sol américain tandis que d’autres sont forcés de quitter le pays.
Mais l’émotion provoquée par ces raids dépasse largement la communauté hispanique, écrit le New York Times. Nombre d’habitants de Morton compatissent avec les familles touchées, même si d’autres souhaitent que les immigrés sans papiers arrêtent de violer les lois fédérales de l’immigration. « Je déteste voir » des familles séparées, explique ainsi Gerard Neil, 61 ans et partisan de Donald Trump, qui dit avoir déjà travaillé avec des Latinos : « Mais la question est allons nous devenir une nation sans lois ? »
Afin de pourvoir les postes perdus, Koch Foods, un des producteurs touchés par les raids, a tenu une foire à l’emploi lundi 12 août, avec une centaine d’offres à la clé.