Brexit : le chaos et des pénuries prévisibles au Royaume-Uni en cas de « no deal »
Brexit : le chaos et des pénuries prévisibles au Royaume-Uni en cas de « no deal »
LE MONDE ECONOMIE
Le « Sunday Times » a publié des documents gouvernementaux confidentiels prédisant des heures sombres en cas de sortie sans accord de l’Union européenne le 31 octobre.
Le premier ministre britannique Boris Johnson devant le 10 Downing Street, à Londres, le 7 août. / Toby Melville / REUTERS
L’hebdomadaire britannique Sunday Times a réalisé un beau scoop, dimanche 18 août, en publiant des documents gouvernementaux confidentiels qui précisent les conséquences d’un « no deal » (absence d’accord) pour le Royaume-Uni, au lendemain du Brexit, prévu le 31 octobre. L’opération « Yellowhammer» – le nom de code desdits documents – faisait encore les gros titres de la presse nationale, lundi, tant ses conclusions sur l’état à venir du pays à partir du 1er novembre sont alarmantes.
Les Britanniques doivent s’attendre à des pénuries de légumes et de fruits frais, d’autant qu’à cette période de l’année, la production intérieure s’épuise et que les détaillants ont surtout recours aux importations. Dans la mesure où le Royaume-Uni deviendra un « pays tiers », et où il devra probablement réintroduire des taxes sur les produits européens importés sur son territoire, les consommateurs doivent aussi compter avec des hausses de prix importantes. Cette inflation « pénalisera en premier lieu les classes vulnérables », à faibles revenus, prévient le document gouvernemental.
Autre incidence inquiétante d’un tel scénario : le manque de produits chimiques pour le retraitement des eaux, qui pourrait affecter des « centaines de milliers » de personnes, précise le rapport. Celui-ci évoque en outre le risque de ruptures d’approvisionnement dans les pharmacies et les hôpitaux, alors que les « trois quarts » des médicaments utilisés dans le pays transitent par le tunnel sous la Manche, où les embouteillages s’annoncent considérables.
Ces engorgements pourraient durer au moins trois mois, avant que le trafic des camions s’améliore (un peu) : il ne reprendrait au mieux début 2020 qu’à 50 % à 70 % de son niveau actuel. En effet, 85 % des chauffeurs britanniques ne seraient pas prêts pour les contrôles douaniers que la France mettra en place dès le 1er novembre. Les retards à prévoir à l’embarquement sur un ferry ou au passage du Channel pourraient atteindre deux jours et demi pour un semi-remorque britannique...
Une pénurie de carburant est également à prévoir, notamment à Londres et dans le sud de l’Angleterre, à savoir les territoires les plus densément peuplés du pays. Des échauffourées entre pêcheurs britanniques et européens (notamment français) ne sont pas à exclure, sachant qu’à compter du 1er novembre, plus de 280 bateaux européens pêcheront illégalement dans les eaux britanniques.
Enfin, les responsables britanniques s’attendent au retour « inévitable, sous quelques semaines », d’une frontière dure en Irlande, rendue nécessaire pour éviter la contrebande entre un territoire de l’Union européenne (UE) – la République d’Irlande – et l’Irlande du Nord, rattachée au Royaume-Uni. Avec son corollaire : la réapparition possible des troubles en Irlande, l’absence d’une frontière sur l’île étant l’une des composantes essentielles de l’accord de paix nord-irlandais de 1998.
Contre-offensive du 10 Downing Street
Selon une source gouvernementale citée par le Sunday Times, ces cas de figure sont « réalistes ». « C’est la situation la plus probable à laquelle les Britanniques seront confrontés en cas de “no deal”. » Ces révélations tombent au mauvais moment pour Boris Johnson, avant deux rencontres capitales – avec la chancelière allemande Angela Merkel, mercredi, puis le président français Emmanuel Macron, le lendemain – et sa participation au G7 de Biarritz, le week-end prochain.
Depuis son entrée en fonctions, le 24 juillet, le premier ministre britannique semble tout miser sur le fait que les Européens, redoutant un « no deal », finiront par céder et accorder à son pays un meilleur accord. Or, les révélations du Sunday Times montrent à quel point cette tactique est risquée, en soulignant la très grande vulnérabilité du Royaume-Uni, qui dépend à presque 50 % des importations européennes, et son état d’impréparation. En effet, les secteurs public et privé avaient pris des dispositions pour une sortie de l’UE le 31 mars, mais, après deux reports successifs de la date du divorce, ils ont été atteints par une « EU Exit fatigue »...
La contre-offensive du 10 Downing Street n’a pas tardé. Dès dimanche, l’entourage de M. Johnson a accusé « d’anciens ministres remainers [ceux qui voulaient rester dans l’UE] », d’avoir organisé les fuites pour « affaiblir la position de négociation » du pays face à Bruxelles. Premier visé : le conservateur Philip Hammond, ex-Chancelier de l’échiquier, devenu ces dernières semaines l’un des fers de lance de la fronde « anti-no deal ». « Il ne s’agit absolument pas de lui », a réagi l’entourage de M. Hammond, lundi. « La sortie de l’UE sans accord ne se fera pas sans quelques soubresauts en chemin », a concédé Boris Johnson lui-même lundi matin, lors d’une visite en Cornouailles. « Mais je n’ai absolument aucun doute sur le fait que nous puissions être prêts ».
Le ministre Michael Gove, chargé de planifier la sortie de l’UE sans accord, a affirmé, de son côté, que les documents étaient « anciens » et dataient du temps où le précédent gouvernement faisait de l’obstruction à tous les préparatifs nécessaires en cas de « no deal ». Depuis sa prise de poste, fin juillet, deux milliards de livres (2,2 milliards d’euros) ont été dégagés pour un divorce sans accord, a souligné M. Gove.
Cependant, le Times enfonçait le clou lundi matin, en notant que les conclusions de l’opération « Yellowhammer » dataient du mois d’août. L’information était la même du côté du site Politico : les documents ont commencé à circuler dès les premiers jours de M. Johnson à Downing Street...