Les combattants anti-Assad se retirent de secteurs clés de la province syrienne d’Idlib
Les combattants anti-Assad se retirent de secteurs clés de la province syrienne d’Idlib
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante), Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)
Le groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham affirme avoir quitté une partie de la ville stratégique de Khan Cheikhoun, dans le nord-ouest du pays.
C’est sans doute un tournant dans l’offensive menée par Damas et son allié russe depuis plus de trois mois dans la province d’Idlib. En quelques heures, la bataille de Khan Cheikhoun semble avoir basculé. Mardi 20 août, les combattants du groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), force dominante dans le nord-ouest syrien, ont affirmé dans un communiqué, diffusé par la messagerie Telegram, qu’ils s’étaient partiellement retirés de cette ville stratégique, indiquant qu’ils étaient toujours présents dans la partie sud. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) fait état, lui, d’un retrait total des combattants anti-Assad, djihadistes ou rebelles, de la ville ainsi que de localités de la province voisine de Hama. Mardi matin, l’armée syrienne n’avait pas confirmé son entrée dans Khan Cheikhoun.
Les alentours de la ville étaient le théâtre depuis plusieurs jours de violents combats entre forces prorégime et combattants anti-Assad. Le bastion insurgé était aussi la cible de violents bombardements aériens. Lundi, l’armée syrienne s’est emparée d’une portion de l’autoroute située au nord de Khan Cheikhoun, reliant Damas à Alep – une progression laissant penser que l’encerclement de la ville de Khan Cheikhoun se préparait.
Ces développements font suite à une frappe, lundi, contre un convoi militaire turc. La scène était tragiquement familière dans le nord-ouest de la Syrie, théâtre d’une violente offensive conduite par Damas et Moscou depuis plus de trois mois, qui pilonnent sans répit infrastructures civiles et positions militaires des insurgés. Un immense nuage de fumée s’est élevé après un bombardement effectué par les forces prorégime dans la province d’Idlib, contrôlée par des djihadistes et des rebelles. Mais lundi, la cible était inhabituelle : un convoi de l’armée turque a été visé aux abords de la ville de Maarat Al-Nouman. L’attaque a suscité un regain de tensions entre Ankara, Damas et Moscou.
L’accord de Sotchi mis à mal
Selon le ministère turc de la défense, les frappes ont tué trois civils, et douze autres ont été blessés. Aucun détail n’a été donné sur l’identité des victimes. Si les forces turques n’ont pas été touchées, des militants de l’opposition affirment qu’un combattant de Faylaq Al-Cham, un groupe d’insurgés proche des services turcs, a été tué dans l’attaque.
Le convoi, composé de blindés et de transports de troupes, circulait sur la route entre les villes de Maarat Al-Nouman et Khan Cheikhoun, plus au sud, quand il a été pris pour cible. Selon l’OSDH, des raids russes et syriens ont été menés en aval pour empêcher la progression de la colonne. Ce sont des véhicules de Faylaq Al-Cham qui auraient été touchés par des avions syriens.
Selon Ankara, le convoi devait approvisionner le poste de Morek, l’un des douze points d’observation turcs établis à partir de 2017 à la suite de l’accord d’Astana passé entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Celui-ci devait permettre une « désescalade » dans la province d’Idlib et les zones attenantes tenues par les combattants de l’opposition anti-Assad.
L’attaque de lundi met à mal l’accord négocié à Sotchi entre la Russie et la Turquie, en septembre 2018, dans le but de différer une offensive du régime contre le bastion rebelle d’Idlib. Il s’agissait alors de geler les fronts dans le nord-ouest syrien, où vivent près de 3 millions de civils.
Le ministère turc de la défense l’a souligné, jugeant que l’incident « contredit les accords existants, la coopération et le dialogue avec la Fédération de Russie », selon un communiqué publié lundi. La surprise des militaires turcs est d’autant plus grande que l’itinéraire emprunté par le convoi avait été préalablement « fourni à la Fédération de Russie ».
La « détermination syrienne »
Damas a condamné, lundi, une « ingérence flagrante » turque, affirmant que le convoi était « chargé de munitions » pour « secourir les terroristes », le terme du régime pour désigner djihadistes, rebelles ou opposants. « Ce comportement hostile du régime turc n’affectera en aucun cas la détermination syrienne », a affirmé une source au ministère syrien des affaires étrangères, citée par l’agence de presse officielle SANA. Le régime, avec son puissant allié russe, concentre son offensive dans le sud de la province d’Idlib et le nord de la région limitrophe de Hama.
Située dans ce qui devait tenir lieu de « zone démilitarisée » entre l’enclave insurgée et les territoires sous contrôle gouvernemental, la localité de Morek, dans la province de Hama, se trouve aujourd’hui dans une bande de terre grignotée par les avancées des forces prorégime au cours des derniers jours. Morek est proche de Khan Cheikhoun.
« La Turquie ne pouvait que réagir [à ces avancées] », estimait lundi Nawar Oliver, spécialiste des affaires militaires à Omran, un centre d’études stratégiques basé en Turquie et proche de l’opposition. Selon lui, Ankara souhaitait autant éviter que « son point d’observation de Morek se retrouve assiégé » et que Khan Cheikhoun tombe, « un scénario à l’impact très négatif ». Selon l’OSDH, le convoi turc était bloqué, lundi soir, au nord de Khan Cheikhoun.
Depuis que les frappes se sont intensifiées sur Khan Cheikhoun, de nombreux civils ont fui plus au nord. La Turquie redoute une vague de réfugiés supplémentaire, et ses frontières sont fermées. Depuis fin avril, plus de 860 civils ont été tués dans les bombardements des forces prorégime sur le nord-ouest syrien, selon l’OSDH.