Mercredi 8 mars, sur l’avenue Istiklal. Les manifestantes brandissent des lettres formant le mot « non » en turc. | OZAN KOSE / AFP

Cette année en Turquie, la journée du 8 mars était placée sous le signe du « non ». « Non à la terreur ! », « Non à la guerre ! », « Quand c’est non, c’est non ! », était-il écrit sur les pancartes brandies par des jeunes femmes déambulant au soir du mercredi 8 mars sur l’avenue Istiklal, la plus grosse artère piétonne d’Istanbul.

Cette propension au « non » doit être comprise dans le contexte du référendum constitutionnel destiné à renforcer les pouvoirs du président Erdogan, prévu le 16 avril. Alors que les partisans du non sont stigmatisés par les islamo-conservateurs au pouvoir comme des « traîtres » et des « terroristes », les femmes d’Istanbul leur ont donné la préférence, de façon détournée. Car dire non franchement revient à s’exposer aux foudres de l’élite politique.

« A ceux qui vont voter non : vous voulez le chaos et l’instabilité en Turquie après le 7 juin », a écrit Ilnur Cevik, le conseiller du président Erdogan, sur son compte Twitter, le 7 mars, avant d’effacer son message. Il faisait allusion au 7 juin 2015, lorsque le Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde) avait bouleversé la donne en remportant 13 % des voix aux législatives et en faisant perdre sa majorité parlementaire au Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) au pouvoir depuis 2002.

Quelques semaines plus tard, le pays sombrait dans la violence, les militants de la gauche prokurde se retrouvant la cible d’attentats suicides particulièrement sanglants (à Suruç le 20 juillet 2015, à Ankar, le 10 octobre 2015), attribués à l’organisation Etat islamique.

« Touche pas à mon short, touche pas à ma jupe »

Sur l’avenue Istiklal, l’ambiance est bon enfant. Des milliers de manifestantes défilent. Presque toutes ont un sifflet coloré en bouche. « On ne veut pas d’une satrapie [gouvernement despotique]. Quatre-vingt-trois ans après avoir obtenu le droit de vote, nous, les femmes de Turquie, allons l’utiliser pour faire barrage au projet d’Erdogan », lance Selma, une rousse aux cheveux longs, venue à la manifestation avec ses amies. Elles rient. Une banderole passe : « Touche pas à mon short, touche pas à ma jupe », qui vient rappeller comment des jeunes femmes ont été agressées ces derniers mois à cause de leurs tenues vestimentaires.

Mercredi 8 mars, sur l’avenue Istiklal. | OZAN KOSE / AFP

L’avenue piétonne est un haut lieu de la diversité à Istanbul, aussi la manifestation s’est-elle déroulée sans heurts. Il n’en a pas été de même à l’université Bilgi, où des jeunes rassemblés sur le campus pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes ont été attaqués par un groupe d’extrémistes aux cris de « Allahou akbar ! ».

Des étudiants et des gardes de sécurité ont été battus. Une jeune femme a été légèrement blessée. Six assaillants ont été interpellés par la police. La direction de l’université a porté plainte.

53 % des femmes et 57 % des hommes, interrogés dans le cadre d’une étude réalisée par l’Université Kadir Has d’Istanbul, estiment que la violence est le problème principal auquel sont confrontées les femmes en Turquie. En 2016, 316 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou par des hommes de leur entourage.

Les statistiques en disent long sur leur place dans la société. En politique, elles sont invisibles avec 79 députées sur 550, une seule femme ministre (de la famille) au gouvernement, une seule femme gouverneur sur 81. Enfin les Turques sont sous-représentées dans le monde du travail : 32% seulement sont actives.