Pourquoi vous ne devriez pas (trop) vous réjouir de la naissance de lionceaux blancs
Pourquoi vous ne devriez pas (trop) vous réjouir de la naissance de lionceaux blancs
Par Aurélie Sipos
Les naissances d’animaux sauvages en captivité attendrissent, mais, derrière la reproduction dans les zoos, de nombreux problèmes subsistent.
Les lionceaux blancs au zoo d'Amnéville, dans l'est de la France, le 5 avril 2016. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP
Difficile de ne pas craquer devant ces lionceaux blancs qui jouent dans la paille, véritables peluches animées. Nés le 27 mars au zoo d’Amnéville (Moselle), ils sont déjà les stars d’Internet et du parc. Pour le zoo, la naissance des félins est le symbole de la préservation d’espèces rares. Mais, loin des conditions de vie réelles des animaux, la reproduction en captivité souffre de nombreux échecs.
- Une survie difficile
Agés de deux semaines seulement, les trois lionceaux, Bongo, Komga et Gandor, sont déjà visibles par le public attendri du zoo d’Amnéville. Une sortie rapide, sous haute surveillance des vétérinaires. Car ces naissances aboutissent souvent à la mort des petits pensionnaires. Pandas, orangs-outangs, panthères, les animaux et les zoos sont nombreux à être touchés par ces décès. Jean-Claude Nouët, professeur, médecin, spécialisé en embryologie et cytogénétique, président de La Fondation droit animal (LFDA), regrette ces naissances « coups de pub » qui ne sont pas viables : « L’été commence et ces bébés attirent parents et enfants dans les zoos, mais on ne pose pas assez la question de l’avenir de ces petits. »
Dans la nature, la mère effectue souvent une sélection dans sa portée, impossible à reproduire dans le zoo. Une modification des comportements naturels des animaux sauvages qui peut être lourde de conséquence : souvent rejetés par leurs mères, les nouveau-nés ne peuvent pas survivre sans une assistance vétérinaire de tous les instants. « Les mères adoptent des comportements agressifs envers leur progéniture, allant jusqu’à les tuer parfois », affirme le professeur.
- Le risque de « dérive génétique »
Autre dérive constatée ces dernières années par les professionnels du milieu et les détracteurs des zoos, les problèmes de consanguinité. « Le problème a existé, mais désormais nous travaillons avec ce que nous appelons la bourse. C’est un registre international qui référence les animaux, et qui nous permet d’éviter des croisements », explique Hervé Santerre, le directeur zoologique du zoo d’Amnéville. Car la « dérive génétique » a fait des dégâts. Le cheval de Przewalski, sauvé de l’extinction notamment grâce au travail des zoos, souffre désormais de malformations.
L’Association européenne des zoos et des aquariums (l’EAZA) doit répondre à ces risques de consanguinité. Elle gère des programmes d’élevage, appelés Programmes européens pour les espèces en danger (EEP), instaurés en 1985. Leur but est d’encourager la coopération entre les établissements afin d’éviter les croisements consanguins lors d’échanges d’animaux, et de réguler la reproduction des espèces.
Dans ce cadre, les parcs animaliers disposent de différents moyens pour gérer le « surplus » de leurs effectifs, comme la contraception ou l’euthanasie. Lesley Dickie, à l’époque directrice exécutive de l’EAZA, avait déclaré en 2014 sur la BBC qu’entre 3 000 et 5 000 animaux en captivité étaient euthanasiés sans raison médicale chaque année dans l’Union européenne. En février 2014, le zoo de Copenhague avait abattu un girafon en pleine santé car ces gènes n’étaient pas assez originaux pour lui permettre de se reproduire, suscitant l’indignation générale.
- Les missions de conservation et de réintroduction des espèces peu respectées
A voir les lionceaux dans leur enclos, difficile de les imaginer au milieu de la savane, tentant de chasser gazelles et buffles. Pourtant, la conservation et la réintroduction des animaux s’inscrivent dans les missions des parcs zoologiques. « Remettre les félins dans leur milieu naturel est trop compliqué, et la pression urbaine trop forte. Même si des réintroductions ont fonctionné, nous ne le faisons plus », nuance le directeur zoologique du zoo d’Amnéville. La remise en liberté des animaux élevés uniquement en captivité n’a pas toujours été une réussite. Au Brésil, une première réintroduction de tamarins lions s’est soldée par la mort du groupe de singes, comme en Chine, où le panda Xiang Xiang est décédé un peu moins d’un an après son retour à la nature. « Les zoos n’évoquent pratiquement plus la réintroduction car ils ont élevé les animaux loin de leur environnement naturel », déplore Eric Baratay, professeur d’histoire à l’université de Lyon et spécialiste de la question animale.
A la place, les trois lionceaux nés à Amnéville participeront à des échanges : ils vont voyager de parcs en parcs, en France et dans le monde, pour représenter fièrement leurs gènes. Aujourd’hui, seule une réserve en Afrique abrite encore des lions blancs de Kruger. « C’est le sens de ces naissances, pouvoir faire perdurer la race qui est menacée et les présenter au public », souligne Hervé Santerre.
Car la faune n’est pas une réserve inépuisable et les zoos se présentent désormais comme des garants de la diversité du monde animal. Leur communication : sensibiliser le public à l’environnement et à la préservation des espèces rares. Pourtant, selon une ONG britannique, la fondation Born Free, qui a visité par surprise 25 zoos sur les 300 que compte le territoire français, seulement 17 % des espèces présentes dans les zoos visités étaient inscrites sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction.
Mais, pour Jean-Claude Nouët, l’argument de pédagogie des parcs animaliers ne peut pas tenir. Un avis partagé par Eric Baratay, qui dénonce la domestication rampante des espèces sauvages : « Les zoos ne peuvent pas prétendre préserver des races rares. Depuis des années, les animaux ne sont plus issus de leur milieu naturel, les parcs développent des animaux mi-sauvages, mi-apprivoisés très éloignés de l’espèce d’origine. »