Primaires américaines : front anti-Trump chez les républicains
Primaires américaines : front anti-Trump chez les républicains
Par Cécile Bouanchaud
Les aspirants Ted Cruz et John Kasich vont unir leurs forces pour tenter de barrer la route à Donald Trump, qui domine la course à l’investiture de leur parti à la présidentielle.
John Kasich (gauche), Donald Trump (centre) et Ted Cruz (droite). | DSK/AFP
La quête effrénée pour trouver une parade à Donald Trump s’est soldée par une alliance improbable dans le camp républicain. Pour tenter de contrer le succès grandissant du magnat de l’immobilier dans la course à l’investiture républicaine, le sénateur du Texas Ted Cruz, et le gouverneur de l’Ohio, John Kasich, ont annoncé une alliance inédite dimanche 24 avril. Ce rapprochement entre un radical et un modéré marque un peu plus la désespérance du Parti républicain, profondément divisé, face à la percée du milliardaire.
- Pourquoi créer un front anti-Trump ?
Les provocations multiples du sexagénaire ont créé une fracture dans le camp républicain dès le début de la campagne. « Durant les premiers débats, l’agressivité de Donald Trump était telle, que c’était lui contre tous les autres », résume Nicole Bacharan, historienne et politologue spécialiste des Etats-Unis. Une campagne incendiaire qui exaspère la direction du Parti républicain.
Les propositions de Donald Trump reposent notamment sur un discours musclé visant l’immigration illégale, avec la proposition de construire un mur à la frontière mexicaine. Autre thème de campagne du milliardaire : la relation des Etats-Unis avec l’islam. « Donald Trump parle à une partie de l’électorat républicain très en colère, réellement raciste, mais qui ne veut pas avouer ce racisme, et qui se révolte contre l’establishment », analyse Nicole Bacharan.
En constatant, à rebours, qu’ils ne pourraient pas contrer individuellement la percée de Donald Trump, ses opposants ont donc décidé de faire front commun contre le candidat qui domine depuis plusieurs semaines la course républicaine. Et le temps presse. Donald Trump détient d’ores et déjà 300 délégués de plus que son principal rival, Ted Cruz. Il est désormais le seul des trois candidats républicains à pouvoir atteindre le « magic number », c’est-à-dire le nombre de 1 237 délégués, nécessaire pour devenir le candidat du parti à la présidentielle de novembre.
Le candidat à l'investiture du parti républicain John Kasich, le 19 avril 2016. | CHIP SOMODEVILLA / AFP
Marco Rubio, contraint à l’abandon avait, en guise de baroud d’honneur, tancé Donald Trump, à la suite de sa victoire écrasante lors d’un « Super Tuesday », le 1er mars : « Le parti de Lincoln et de Reagan et la présidence des Etats-Unis ne seront jamais tenus par un faussaire », avait lâché le sénateur de Floride, excellent orateur.
Malgré de vives dissensions, l’éphémère prétendant à l’investiture républicaine, le sénateur de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, avait, lui, appelé à soutenir Ted Cruz, au soir de ce même « Super Tuesday », qui avait installé plus que jamais Donald Trump en tête de la course républicaine.
- Que signifie ce rapprochement ?
Mais, cette fois, le jeu d’alliance franchi une nouvelle étape en rassemblant le très conservateur Ted Cruz et le plus pondéré John Kasich. A plusieurs reprises durant la campagne, les deux hommes avaient souligné leurs désaccords, voire leur ressentiment respectif. A titre d’exemple, la semaine dernière, John Kasich s’est exprimé à New York pour réaffirmer des valeurs républicaines fragilisées, aussi bien par la boule de démolition qu’est Donald Trump que par l’intégrisme forcené de son rival le plus sérieux, Ted Cruz. « De son côté, le sénateur du Texas a eu des propos très durs envers John Kasich », rapporte Mme Bacharan.
Acculés par la montée de Donald Trump, les deux hommes ont donc décidé, malgré leurs désaccords originels, de faire front commun. Une nomination de M. Trump serait le gage d’un « désastre garanti » pour les républicains à la présidentielle et ramènerait le parti « une génération en arrière », a écrit dans un communiqué, Jeff Roe, le directeur de la campagne de Ted Cruz. Dans la foulée, plusieurs figures influentes du parti, comme Mitt Romney, se sont jointes à ce mouvement anti-Trump, qui pourrait surtout bénéficier à Ted Cruz.
- Quelle est leur stratégie ?
En fonction de leur chance de remporter tel ou tel Etat, Ted Cruz et John Kasich comptent laisser le champ libre à l’autre, pour rassembler, ensemble, un maximum de voix anti-Trump. Le sénateur ultraconservateur du Texas se concentrera désormais sur l’Indiana, a annoncé Jeff Roe. En retour, il « laisse la voie libre » au gouverneur de l’Ohio dans l’Oregon et le Nouveau-Mexique.
Le candidat à l'investiture du Parti républicain Ted Cruz, le 14 avril 2016. | EDUARDO MUNOZ ALVAREZ / AFP
« Avec cette stratégie, Ted Cruz et John Kasich ne s’attendent pas à avoir le nombre suffisant de délégués pour obtenir la majorité absolue de 1 237 délégués nécessaire pour remporter automatiquement l’investiture. Les deux hommes souhaitent collecter des délégués à un rythme plus rapide. Et surtout empêcher que Donald Trump obtienne cette fameuse majorité », explique Nicole Bacharan. Et d’ajouter :
« Dans tous les cas, Donald Trump n’est pas assuré d’obtenir cette majorité. C’est loin d’être gagné pour lui. Cette alliance constitue un outil supplémentaire pour compliquer son parcours. »
Le magnat de l’immobilier à l’inamovible coiffure jaune compte actuellement 846 délégués, contre 563 pour Ted Cruz et 147 pour John Kasich. Il est donc encore loin de la majorité absolue de 1 237 délégués. Et même s’il remportait les primaires de mardi, pour lesquelles il est donné favori, Donald Trump n’aurait pas encore remporté l’investiture.
- Quels sont les enjeux ?
Dans le cas où il n’obtiendrait pas ce fameux « magic number », s’ouvrirait alors une « convention contestée », où chaque délégué peut recouvrer sa liberté de vote, ouvrant la voie à des scénarios et à des renversements d’alliance au résultat imprévisible. Et dans ce jeu d’alliance, Donald Trump peut craindre que l’establishment du Parti républicain se ligue contre lui à la convention de Cleveland, même s’il est en tête.
Le « speaker » (président) de la Chambre des représentants Paul Ryan, le 13 avril 2016. | J. Scott Applewhite / AP
« Si personne n’obtient la majorité, ce qui a de fortes chances d’arriver, la convention sera ouverte, les délégués voteront jusqu’à ce qu’un des candidats obtienne la majorité », rappelle la politologue. Un scénario qui ouvre la porte à l’arrivée d’un quatrième homme, sorti du chapeau. « Il pourrait s’agir de Paul Ryan, un jeune homme moderne, qui connaît bien ses dossiers. Mais qui, pour l’instant, refuse la proposition », explique Nicole Bacharan.
Jusqu’ici aucun autre nom ne circule que celui du « speaker » (président) de la Chambre des représentants, qui figurait sur le ticket de Mitt Romney en 2012. Pas de quoi décourager pour autant le front républicain anti-Trump, qui a assuré qu’il en ferait son affaire. Des pressions sur une poignée de délégués, l’incapacité pour le magnat de l’immobilier d’obtenir l’investiture de Grand Old Party, et la convention de Cleveland devraient permettre d’introniser le bon soldat Ryan.
- Et après ?
Mais le Parti républicain risque de ne pas sortir indemne de ce jeu d’alliance qui apparaît comme une farce politique aux yeux des électeurs. « Avec cette stratégie d’alliance, qui ne repose pas sur une véritable connivence politique, le Parti républicain perd de sa crédibilité. Le risque est que le parti implose à la suite de ces élections, qu’ils ont de très fortes chances de perdre, quel que soit le candidat. »
Signe de la déliquescence du parti : le milliardaire Charles Koch, l’un des plus gros donateurs des conservateurs, a affirmé qu’« il [était] possible » que la favorite démocrate pour l’investiture, Hillary Clinton, soit une meilleure candidate que les prétendants républicains.